Il faut que je vous avoue quelque chose : chaque fois que je dois préparer une homélie, j’ai une appréhension : celle de passer à côté de ce que le Seigneur pourrait avoir à nous dire au travers de la Parole du jour, et celle d’y mettre trop de moi-même au point d’altérer la Parole de Dieu. Voyez-vous, ma petite homélie doit rester à sa juste place : elle est incapable de tout résumer, de tout expliquer, de tout dévoiler de Dieu ; mais elle doit s’efforcer d’accompagner la Parole de Dieu pour qu’elle nous rejoigne et qu’elle prenne vie en chacun de nous.

Pendant la préparation de chaque homélie, je prie donc le Seigneur avec beaucoup d’insistance de me guider, de m’inspirer les mots qui seraient utiles, pour vous et pour Lui, afin qu’Il puisse vous rejoindre. C’est Lui plus que moi qui doit encore vous parler au travers de mes mots.

Eh bien, l’homélie est ma manière à moi d’être prophète en ce dimanche.

Et je crois que les textes du jour nous invitent très nettement à jouer chacun notre rôle de prophète : ils démystifient pas mal de fausses images que nous pouvons avoir du prophète et qui nous empêchent de passer à l’action.

« Nous ?? Comment ça nous !? Amaury, tu veux dire « toi », ou les autres diacres, ou les prêtres… les spécialistes de la prophétie, quoi ! » Ben non ma bonne dame ! Y a pas d’erreur : vous aussi vous êtes concernée. Chaque baptisé est concerné par la tâche de prophète car, par notre baptême, nous devenons chacun « prêtre, prophète et roi ».

Afin d’éviter des sueurs froides inutiles, ou une grosse bousculade vers la sortie de l’église de la part de ceux à qui ce rôle ferait peur, regardons à quoi sert un prophète. Nous verrons rapidement que ce n’est pas si compliqué, qu’on peut trouver des prophètes à chaque coin de rue, que nous faisons souvent de la prophétie sans le savoir et que, surtout, surtout, nous ne sommes pas jetés dans le grand bain tout seul.

Dans notre imaginaire, on voit souvent le prophète comme une personne excentrique, un peu « perchée », un peu folle ; on s’attend à ce que le prophète sorte de l’ordinaire, qu’il soit pourvu de dons extra-lucides que les autres n’ont pas. Et souvent, quand on entend prophète, on pense au « prophète de malheur » qui, quand il ne fait pas la morale, est quelqu’un capable de prédire l’avenir et les catastrophes. En fait, pour considérer qu’un prophète est crédible, on attend la plupart du temps qu’il porte en lui des signes de la puissance de celui qu’il annonce.

Mais en fait, un prophète ce n’est pas du tout ça : chaque dimanche, dans le credo version longue, nous disons de Dieu (et plus spécifiquement de l’Esprit-Saint) : « il a parlé par les prophètes ». Le rôle des prophètes est très clair : Dieu utilise les prophètes pour nous parler de Lui, pour que nous Le connaissions. Et d’ailleurs, la Bible est entièrement constituée de livres écrits par des prophètes en vue d’annoncer que Dieu cherche à nouer une alliance, une relation vivante avec l’humanité. La Bible n’est pas là pour annoncer l’avenir et n’est pas non plus un guide de bonne conduite morale.

Le prophète annonce donc la bonne nouvelle de Dieu. Le prophète est un des multiples instruments que Dieu place sur notre chemin pour nous parler et se révéler à nous.

On se plaint souvent que Dieu reste silencieux, surtout quand ça ne va pas dans notre vie. Or si l’on regarde bien, c’est exactement le contraire : Dieu ne fait que nous parler ; ne serait-ce que par la Parole de Dieu de chaque messe ou dans la liturgie des heures. C’est Sa parole ! Et pour être entendu et écouté, pour que l’Évangile soit encore plus explicite et s’adapte encore plus concrètement à notre vie, eh bien Dieu utilise la voix de multiples médiateurs autour de nous. Et parmi eux, au premier plan, les prophètes. C’est donc au cœur de notre quotidien qu’interviennent les prophètes d’aujourd’hui.

Être prophète peut paraître une tâche difficile. Et c’est vrai que les textes de ce jour ne disent pas le contraire : Ézéchiel est envoyé vers une « nation rebelle », vers un peuple au « visage dur et au cœur obstiné ». Saint Paul énonce qu’il côtoie « insultes, contraintes, persécutions et situations angoissantes ». Et dans l’évangile, Jésus lui-même, revenu voir sa mère et son village d’enfance, Nazareth, un an après l’avoir quitté, est « méprisé […] dans son pays, sa parenté et sa maison ».

Le prophète peut effectivement être confronté à des situations difficiles, comme tout être humain au cours de sa vie ; et Dieu peut sembler lointain dans de telles situations. La tâche de prophète n’est alors pas compliquée : le simple fait, pour un croyant, d’être présent là où justement Dieu semble avoir été laissé de côté, est en soi un geste prophétique : c’est précisément dans les situations difficiles pour l’homme que le chrétien peut se faire révélateur du cœur de Dieu, ce cœur qui se préoccupe avant tout de ceux qui sont loin de Lui. En envoyant Ézéchiel et Paul chez des rebelles, Dieu manifeste qu’Il se préoccupe de ces rebelles enfermés dans leur raideur et leur obstination ; Il montre son désir de les rejoindre, de les bénir ; Il leur ouvre un chemin nouveau, tout en respectant leur liberté : « qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux ». Sainte Bernadette à Lourdes le dira à sa manière : « on m’a demandé de vous le dire, pas de vous le faire croire ».

La qualité d’un prophète n’est pas d’être fort, ni techniquement parfait. Il n’y a pas de logique de performance dans le fait d’être prophète. Ézéchiel le dit dans la première lecture : « l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. » La force du prophète tient dans l’Esprit. C’est l’Esprit qui dynamise. Et ce qu’on demande à un prophète, c’est avant toute chose « laisse-toi faire par l’Esprit-Saint », puis « tiens-toi debout et dis ce que je mettrai dans ta bouche ». C’est tout.

Dieu n’attend pas des surhommes ; et comme le dit Paul dans la deuxième lecture, « sa puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». C’est intéressant ce que dit Paul : « les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que j’ai reçu dans ma chair une écharde pour m’empêcher de me surestimer ». En parlant du risque de se surestimer, il ne s’agit peut-être pas ici seulement d’une question morale d’orgueil et d’humilité. Paul voit sans doute plus spécifiquement le risque du découragement face à l’immensité de la tâche : si je surestime les qualités ou les talents qu’il me sera demandé d’avoir pour être prophète, je me découragerai car jamais je n’y arriverai. C’est donc une libération pour Paul de savoir que ses faiblesses, loin d’être un obstacle ou un handicap, peuvent au contraire offrir un terrain propice à l’annonce du Seigneur.

Dieu n’attend pas non plus des prophètes qu’ils atteignent un quelconque résultat. Même Jésus, le Fils de Dieu, se trouve « coincé » lors de son passage à Nazareth : personne ne l’écoute, personne ne s’ouvre à la foi. Et pourtant, c’est Jésus ! Autant dire que, en tant que parent, en tant que conjoint, lorsqu’on a l’impression de tout rater, lorsque nos enfants rejettent la foi, entendre que « un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa maison, sa famille » met du baume au cœur ! On fait ce qu’on peut, Dieu fait le reste.

Vous le voyez, être prophète, c’est plus facile qu’on ne pense. On ne lui demande rien d’impossible. Que vous le croyiez ou non, chacun de nous est prophète pour les autres, à sa manière, même sans le savoir. Et en définitive, on en croise bien plus fréquemment qu’on ne l’imagine.

Pour ma part, je prends conscience que j’en ai rencontré plusieurs au cours des trois derniers mois : il a pu s’agir de rencontres sur le Chemin de Compostelle, des tête-à-tête avec les hospitaliers dans les gites ou avec les autres marcheurs ; parfois une petite phrase éclaire une situation ou me fait découvrir une vérité que je n’avais pas vue jusqu’alors. C’est aussi par exemple la conversation inopinée que j’ai eue avec l’une d’entre vous à la sortie d’une messe ; elle m’a partagé une prière mariale qui lui tenait à cœur, et qui m’a bien aidé à traverser une difficulté que je vivais sur le moment. C’est clair, j’ai rencontré des prophètes qui, à leur manière, m’ont révélé un peu de Dieu dans ma vie.

Dieu raffole des petits prophètes du quotidien qui Lui permettent de rejoindre chaque homme et de s’immiscer dans notre vie bien terre à terre, afin de la vitaliser et lui donner sens. Ainsi, les plus petits, ceux qu’on juge les plus faibles ou les moins talentueux sont parfois les plus grands prophètes, car c’est dans la petitesse que Dieu se révèle le mieux et le plus facilement. Dieu devient particulièrement accessible.

Voilà pourquoi nous sommes tous ici des prophètes, des prophètes du quotidien : nous sommes des prophètes car, par notre baptême, nous pouvons manifester que Dieu s’est lié à l’humanité par un lien indestructible : celui de l’incarnation. Ça veut dire que c’est dans les moindres petites situations de notre vie que nous pouvons prophétiser. Pour cela, le préalable est de laisser l’Esprit-Saint prendre sa place au cœur de nos vies. Et ça, ça se demande. Demandons-nous l’aide de l’Esprit-Saint avant chaque geste important, ou avant de prendre une décision ? Avant une réunion professionnelle ? Avant une rencontre ou même pendant une rencontre ?

Je crois vraiment que les textes de ce jour nous invitent à prendre conscience de la tâche qui nous appartient, une tâche qui n’est pas compliquée : celle de chercher à vivre nous-même chaque instant en relation avec le Seigneur, comme Jésus l’a fait, et le faire avec Lui, afin que, par nous, avec nous et en nous, son visage se révèle au monde. Amen.

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