Il y a 18 mois, je me suis lancé dans une activité qui me porte beaucoup : je me suis lancé dans le cinéma en tant qu’acteur. Le plus dur, c’est de se faire connaître et, comme pour tout métier, on utilise bien sûr des outils pour cela : des photos, un CV et des exemples de la manière dont on joue (on appelle cela une bande-démo).

Mais j’ai vite compris que le cinéma, surtout du côté du comédien, n’était pas un environnement comme les autres. Il a son propre mode de fonctionnement : par exemple, être disponible est très important dans ce métier, et la séparation entre ses vies privée et professionnelle est probablement plus floue que pour un emploi salarié qui a un rythme et des horaires plus « cadrés ».

En fait, si on veut vraiment avancer dans ce métier, on est obligé d’envisager d’entrer dans un autre mode de vie. J’aurai, un jour, à faire un réel choix : vivre le cinéma au quotidien ou pas. Y entrer pleinement ou pas.

Je vous raconte tout cela, non pas parce que je veux faire ma pub, mais c’est surtout parce que la question que je dois me poser dans le cadre du cinéma (« j’y entre pleinement ou pas ») m’a éclairé sur l’évangile qui nous est offert aujourd’hui. Cet évangile peut nous toucher par de très nombreux aspects, et c’est surtout cet éclairage, un parmi beaucoup d’autres, que je voudrais partager avec vous.

De prime abord, quand on entend cet évangile, c’est sûr qu’on a plutôt l’impression que les premiers ouvriers ont raison de récriminer :

« Bon sang mais ce n’est pas juste ! Nous, on est là depuis 6 heures du matin, on a trimé pendant 12 heures d’affilée, à 40 degrés sous un soleil de plomb. Et les autres là, ils arrivent la fleur au fusil et la bouche en cœur, travaillent 1 petite heure dans la fraîcheur de la fin de journée, et pourtant ils reçoivent le même salaire !? »

C’est le type de réaction qu’on peut avoir en entreprise quand on voit le jeune cadre fraîchement diplômé arriver à un poste de direction (avec le salaire qui va bien), alors que, vous, vous avez 20 ans d’expérience et vous avez l’impression qu’on n’en reconnaît pas la valeur. La comparaison est quelque chose de naturel, et ça dure plus ou moins longtemps.

Ici, il serait donc juste que tout le monde perçoive le même revenu ??! Jésus serait-il finalement un utopiste ? Peut-être même un communiste ?? Je ne crois pas…

Dans cet évangile, la comparaison est douloureuse pour les ouvriers si on regarde la situation sous l’angle du travail à faire, ou sous l’angle d’un effort à fournir. On pourrait penser que Dieu (c’est le maître de la vigne ici) demande à ses disciples (ce sont les ouvriers) de poser des actes d’évangélisation afin que la vigne grandisse autour d’eux. La vigne serait ici, au choix, le peuple de Dieu, l’Église ou tout simplement l’humanité ; et lorsqu’il est proposé de « venir travailler à la vigne », ce serait en quelque sorte proposer d’accomplir de bonnes œuvres pour Dieu. Et en simplifiant à l’extrême, on pourra penser que le salaire de fin de journée sera d’aller au ciel plutôt qu’en enfer. Une récompense pour la sueur et l’énergie dépensée.

Mais on a de quoi être gêné quand on regarde cette vigne sous cet angle du « travail à faire ». Car la lecture de cet évangile peut alors prendre une connotation très moralisante : puisque, apparemment, toute personne embauchée qui travaille à la vigne, même quelques minutes, perçoit la même récompense et qu’on entend que c’est le signe que Dieu est bon et généreux, alors ceux qui râlent pourraient sont à pointer du doigt : « Comment ? Vous récriminez ? Donc vous me reprochez d’être bon et généreux ? Mais en fait c’est vous qui êtes des égoïstes. Fichez-le camp ! ». Ça ne colle pas bien au visage que Jésus donne de son Père car Jésus n’est jamais moralisateur.

Il n’est évidemment pas ici question de dissuader quiconque d’évangéliser ni de veiller à prendre soin de son voisin et du monde entier, bien au contraire, et cet évangile peut aussi nous inviter à tenir notre place de diffuseur de l’amour de Dieu dans le monde ; l’Esprit Saint a besoin de nous pour toucher terre.

Mais aujourd’hui je vous propose de décaler un peu notre regard. Je vous propose de regarder ce Royaume de Dieu, non plus comme une tâche à accomplir dans une logique de croissance de ce royaume (par exemple croissance du nombre de croyants), comme si cette croissance reposait essentiellement sur nos actions, mais de regarder cette vigne comme un lieu où « être »…

Si cela nous aide (même si c’est totalement schématique), on peut imaginer ici le Royaume de Dieu dont parle Jésus comme le territoire où habite le Maître de la vigne. C’est chez lui ; et une frontière marque la séparation avec le territoire voisin.

Ce territoire, le Royaume de Dieu, c’est la vie avec Dieu. C’est là qu’on vit éternellement, que la vie est constamment renouvelée et revivifiée, cette vie que Jésus est venu annoncer.

Le maître de la vigne en sort pour ramener avec lui des personnes qui, jusqu’à présent, étaient à l’extérieur de ce territoire. Ainsi, l’important est d’être dans ce royaume, d’être dans l’intimité de Dieu, d’être en relation d’amitié avec lui, de vivre de lui, d’être sûr et confiant d’être aimé de lui… au lieu de rester en dehors. La vie en Dieu, c’est baigner dans la confiance de l’amour, c’est croire au-delà de toute autre chose qu’on est le bien le plus précieux de Dieu, la prunelle de ses yeux, son diadème, et qu’il a gravé notre nom dans la paume de ses mains. C’est un état de fait.

Et pour vivre cela, on n’a pas à prouver qu’on le mérite, on n’a pas de paliers à franchir ni de niveaux à atteindre, ni d’heures minimales de formation à suivre. La question n’est plus de travailler beaucoup ou peu, d’être ou non productif, ni efficace. On décide de vivre dans le royaume ou pas. C’est un choix.

Un choix entre aller vers plus de vie, ou rester là à ne rien faire, attendre que notre vie s’éteigne sans découvrir la richesse qu’elle contient, ce qui n’est rien de plus qu’une forme de mort. Le choix que doit faire l’acteur de cinéma de se jeter à l’eau entièrement (comme je l’évoquais en introduction), m’évoque ce même choix de vie.

C’est ce choix que fait chacun des ouvriers lorsque le maître de la vigne se présente à eux. Y aller pleinement, entièrement ou pas.

Dès lors, avoir fait ce choix en premier ou en dernier n’a pas d’importance : vivre et exister, c’est cela le cadeau ultime que Dieu nous fait. Ce n’est pas parce que vous décidez tôt de vivre pleinement votre vie que vous devez forcément être plus heureux que celui ou celle qui prend cette même décision sur son lit de mort. Un bon exemple est celui du « bon larron » : par rapport à André ou à Pierre, il est plutôt « tardif » ; mais il n’est pas en retard. Tout ce temps lui était nécessaire pour qu’il puisse choisir. Sur la croix à côté de Jésus, c’était finalement le bon moment pour lui, son choix était mûr à ce moment-là, mais pas avant.

Si nous regardons maintenant l’évangile avec cet éclairage de la démarche du maître de la vigne (proposer à chaque personne d’entrer simplement dans la plénitude de son amour plutôt que de rester en dehors), on peut s’émerveiller de l’attitude de ce maître :

  • C’est lui qui travaille, c’est lui qui fait le trajet vers les ouvriers ; il prend l’initiative, il sort de son domaine sans attendre qu’on y entre ; et il persévère pour proposer au maximum de personnes de venir : il sort 5 fois dans la journée !
  • Il embauche sans préciser la tâche exacte à faire : cela implique donc que chaque ouvrier aura à utiliser sa liberté, il aura lui-même à décider la manière qui lui est propre de participer à cette vie en Dieu.
    Chaque ouvrier aura à trouver la place qui lui convient le mieux dans cet ensemble, la place singulière pour laquelle son existence a le plus de sens.
    Voyez : nous sommes respectés dans notre personnalité singulière jusque dans la vie éternelle.
  • En termes de salaire, il sera donné la rétribution qui sera juste pour chacun. Et on constate que ce que chacun reçoit, c’est le maximum ! On peut dire qu’il y a égalité dans la préférence de Dieu : nous sommes tous ses préférés, tels que nous sommes. Voilà de quelle manière nous sommes traités dans le royaume de Dieu.

Au bout du compte, on comprend mieux ce que Jésus veut dire avec « les derniers seront premiers et les premiers seront derniers » : car, si on regarde bien, c’est une boucle sans fin (les nouveaux derniers deviendront à nouveau premiers, etc.), à tel point qu’à un moment donné, personne ne sait plus s’il est premier ou dernier. Si la question est de décider d’entrer ou non dans le royaume de Dieu, cette question n’a en fait plus aucune importance.

Un mot m’est resté à l’issue de ma prière avec cet évangile : gratitude.

Gratitude envers ce Dieu qui veut le bonheur et la Vie en plénitude pour chacun, sans exclusive, sans condition, sans mérite. Gratitude envers ce Dieu qui respecte notre liberté de choix et notre liberté de dire non. Gratitude envers ce Dieu qui propose sans relâche et avec délicatesse une voie vers lui, un chemin, et un accompagnateur : Jésus, afin que chaque être humain ait tous les outils utiles pour atteindre le but de son existence : chaque être humain est intimement et structurellement créé pour plonger tout entier dans l’amour de ce Père du ciel, pour vivre au cœur même de l’amour infini.

À nous de dire oui. Posons cet acte de confiance et vivons cette plénitude. C’est ainsi que le Royaume de Dieu commencera à se manifester.

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