Dans quelques mois, nous irons élire notre prochain président de la République. C’est le temps de la campagne électorale. C’est souvent le temps des promesses (qui seront tenues ou pas) : les candidats promettent qu’avec eux, aujourd’hui c’est la panade, mais qu’après les avoir élus, ça ira mieux.

Dans ce genre-là, quand on entend l’évangile qui vient d’être proclamé, celui des Béatitudes, on pourrait se dire que Jésus aurait fait un excellent politicien : « Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez ». Au premier abord, on pourrait être tenté d’ajouter : votez pour moi et cela s’accomplira !

Eh bien il y a du vrai et du faux là-dedans. Et je vous propose, autour de cet Évangile des Béatitudes, d’imaginer Jésus en candidat à l’élection présidentielle.

Tout candidat a un programme. Celui de Jésus candidat, c’est le projet de Dieu : prendre soin des pauvres, des affamés, des captifs et de ceux qui pleurent sous l’oppression. Son programme, c’est lutter contre la diversité du mal qui affecte l’humanité et empêche les hommes de vivre. Et toute la vie de Jésus témoignera de cela.

Cela ne signifie pas pour autant que Jésus va guérir toute maladie, donner du pain aux estomacs, ni éliminer toute difficulté de nos vies. « Béatitudes » ne signifie pas rendre chacun être béat de bonheur, ni baigner dans le bien-être. Jésus n’agit pas comme un magicien. On le voit bien au quotidien : des hommes ont faim encore aujourd’hui, des personnes pleurent encore aujourd’hui…

Certains traduisent le texte grec de l’Évangile, non pas par « heureux », mais par « en avant ! » ou « Courage ! ». C’est très éclairant : il s’agirait donc pour Jésus d’encourager ses disciples, et de conforter dans leur choix ceux qui croient en lui. Il leur dit en gros : « En me suivant, oui vous aurez faim, oui vous serez persécutés. Mais soyez sûr que vous avez fait le bon choix en décidant de me suivre. ». C’est le bon choix parce que Jésus est le chemin, la vérité et la vie ; et parce qu’il a les paroles de la vie éternelle.

Le cœur du programme de Jésus, c’est en fait Lui-même, c’est son accompagnement et sa présence dans nos vies. Sa promesse, c’est qu’il sera toujours à nos côtés quelles que soient les circonstances que nous avons à traverser, comme Dieu le Père a été présent aux côtés d’Israël pour l’encourager dans la traversée du désert à la sortie d’Égypte. En proclamant les Béatitudes, Jésus s’engage à être le messie qui console en venant pleurer avec nous de ce qui nous fait pleurer. Il n’efface pas tout. Il est simplement là, pleinement là. Et ça, c’est essentiel.

Tout candidat fait des promesses. La question est de savoir QUAND elles s’accompliront. Un candidat normal vous dira qu’il faut qu’il soit élu. Il faut donc inévitablement attendre qu’arrive le jour de l’élection. Avec Jésus, les promesses peuvent s’accomplir dès maintenant.

Souvenez-vous de l’Évangile que nous avons entendu il y a quelques semaines, lorsque Jésus était à la synagogue de Nazareth et a lu le livre d’Isaïe (« L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération », etc.). Jésus a dit : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Aujourd’hui ! Les promesses de Dieu, Dieu les réalise aujourd’hui !

Les Béatitudes, ce n’est pas une promesse pour après la mort, lorsque nous serons au Paradis céleste. Ce que Jésus exprime, c’est que le bonheur se vit en étant avec Dieu, en Dieu. Pour nous Chrétiens, ça veut dire « maintenant » car Dieu s’est justement incarné en Jésus pour vivre avec nous chaque moment de notre vie ; il nous a donné son Esprit pour que nous puissions voir nos vies renouvelées, ressuscitées à tout moment. Aujourd’hui vous pleurez à en mourir ? Avec Jésus, par l’Esprit, vous pouvez ressusciter, et revivre autrement. Vous n’allez pas rester cantonné à votre tristesse. Dieu va tout renouveler, tout transfigurer.

Telle est notre foi. C’est ce que martèle St Paul : si Jésus n’est pas ressuscité, vaine est notre foi ! L’expérience de la résurrection et du pardon est celle de la vie plus forte que la mort. En quelque sorte, chaque jour, chaque instant de notre vie est jour d’élection et jour d’accomplissement des promesses de Dieu.

Tout candidat confronte ses idées à celles des autres. Notre Évangile des Béatitudes semble d’ailleurs opposer les bons et les méchants, les pauvres et les riches, ceux qui rient et ceux qui pleurent, les affamés et les repus… Eh bien justement : même s’il crée ces catégories, ce texte montre que Dieu dépasse ces oppositions binaires et ne condamne ni n’enferme personne dans une case. Et la nouvelle traduction liturgique de la Bible nous en offre un indice : comment Jésus s’exprime-t-il ? Il dit « heureux vous les pauvres…, heureux vous qui avez faim », etc. Mais avez-vous remarqué ce qu’il dit aux riches, aux repus, à ceux qui rient, etc. : la nouvelle traduction ne dit pas « malheur à vous » ; elle dit « quel malheur pour vous… ».

« Quel malheur pour vous ! » Cette manière de s’exprimer, justement, montre qu’il n’y a pas d’un côté les « bénis » et de l’autre les « maudits ». Jésus ne fait pas la morale, il entre dans un schéma d’amour.

Jésus ne nous condamne pas si nous sommes riches ou repus. En réalité, Il nous plaint ! Il s’attriste quand il nous voit faire fausse route. Il n’a qu’un désir : que nous choisissions la bonne voie. Pour paraphraser la première lecture et le psaume, voici ce que Dieu dit en quelque sorte : « Homme méchant, tu te perds toi-même. Homme qui met ta foi dans un mortel tandis que ton cœur se détourne du Seigneur, je te plains ; tu fais fausse route, tu te coupes d’une dimension de ton être, celle qui est faite pour vivre avec moi dans une alliance d’amour. Tu te réduis et tu es comme un arbre qui se dessèche et ne porte aucun fruit ». Ici, on quitte le jugement et on entre dans la miséricorde. La première victime de nos mauvais choix de vie, c’est nous-mêmes.

Vous le voyez, au travers des Béatitudes, Jésus dévoile une fois encore le regard que son Père porte sur chaque homme. Chaque personne est réellement acceptée et aimée là où elle en est dans sa vie, quelle que soit la direction qu’elle a choisie, quelles que soient ses erreurs.

Sans vouloir faire trop d’anthropomorphisme, je crois que Dieu est touché lorsqu’il voit que nous sommes prêts à nous engager dans la voie d’une alliance avec Lui, alors même que cela peut nous coûter en termes de « confort ». Dieu s’émerveille lorsqu’il constate que nous avons compris que le sens de notre vie se trouve dans l’amour. Parce que c’est dans de telles situations qu’Il peut nous rejoindre et nous donner l’amour même qui nous aidera à être heureux même avec nos difficultés.

Si nous sommes repus, si nous ne manquons de rien, Dieu n’a pas d’autre choix que de se tenir à la porte et de pleurer doucement en voyant que nous nous sommes, nous-mêmes, coupés du bonheur éternel qu’il nous offre.

Finalement, tout candidat à l’élection présidentielle est animé par un désir spécifique qui l’a poussé à s’engager au service de ses concitoyens. Pour Jésus, la question serait plutôt la suivante : pourquoi a-t-il été envoyé auprès de nous ? Pour que nous puissions retrouver Dieu, découvrir son vrai visage, et ainsi choisir avec confiance de nous engager dans la voie inconfortable du bonheur qui mène à Lui. Un théologien allemand, Urs von Balthazar, a d’ailleurs imaginé ce qu’a pu être la conversation entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, alors qu’ils se demandaient de quelle manière ils pourraient sortir l’humanité de l’impasse du péché dans laquelle elle se fourvoie. Dans cette conversation, il imagine le Fils en train de supplier le Père en disant : « S’il te plait Père, envoie-moi ».

Ces retrouvailles entre l’homme et son Dieu, Dieu les attends depuis toujours, depuis qu’Adam et Eve ont laissé s’installer dans le cœur de l’humanité le doute sur les bonnes intentions que Dieu avait pour elle. Ces retrouvailles, il n’appartient qu’à nous de les provoquer. Il suffit de renouveler notre confiance en Jésus aux prochaines élections, celles qui ont lieu à chaque instant de nos vies.

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