Nous vivons tout de même une époque extraordinaire ! Pendant près de deux mois, notre communauté paroissiale n’a pas eu d’eucharistie ; pendant près de deux mois, nous avons vécu l’ascèse quotidienne des chrétiens opprimés dans leur pays ; pendant près de deux mois, nous avons expérimenté ce que vivent au quotidien les divorcés-remariés, pendant près de deux mois, nous avons endossé la peau de nos frères malades enfermés à l’hôpital.

Et voilà qu’à peine sortis du confinement, tous les textes que nous venons d’entendre nous offrent une superbe catéchèse sur l’eucharistie ! Ça tombe rudement bien ! Nous revenons à la messe, nous côtoyons à nouveau l’eucharistie ? C’est le moment idéal pour se poser quelques questions : sans eucharistie, ai-je vécu un manque (ou pas) ? qu’est-ce qui m’a manqué ? Est-ce que quelque chose a changé pour moi quand je pense à l’eucharistie ?

Chacun des textes de ce jour apporte un éclairage spécifique sur ce sacrement de l’eucharistie. Ils pourraient nous aider dans notre questionnement en nous aidant à découvrir ou à redécouvrir certains aspects de l’eucharistie et du Saint-Sacrement… et, peut-être aussi, ce qu’il n’est pas…

Je vous propose de mettre en valeur brièvement quatre de ces éclairages.

*****

Dans la première lecture, Moïse s’adresse à Israël et lui remémore tout ce que Dieu a fait pour lui : le peuple d’Israël était esclave en Égypte : Dieu l’a libéré ; le peuple d’Israël allait mourir de faim : Dieu lui a donné la manne, l’a nourri et l’a fait revivre.

Moïse explique que Dieu a donné la manne pour qu’Israël sache que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur.

Comme j’aime bien regarder les passages qui entourent les textes de la messe, je suis allé voir ce qu’il en était ici. Et qu’est-ce qu’on voit : juste avant et juste après ce rappel du don de la manne, Dieu met en garde Israël contre l’idolâtrie. Par la voix de Moïse, Dieu appelle son peuple à une vigilance particulière contre le danger d’idolâtrer les dons qu’il fait ou même de croire que c’est par ses propres forces d’homme que ces dons sont obtenus.

Voici donc un premier enseignement autour de la manne, l’ancêtre de l’eucharistie : la manne est une médiation de l’alliance de Dieu. Aucun objet, aucune médiation, aucun des dons matériels de Dieu ne remplace Dieu. Ce ne sont que des moyens qui aident à vivre une alliance avec Dieu. Attention à ne pas tomber dans l’idolâtrie des médiations.

*****

Dans la courte deuxième lecture, Saint Paul insiste sur le fait que le pain et le vin « sont communion au Christ » et que, par le partage du même pain, la multitude que nous sommes devient un seul et même corps.

En d’autres termes, ce pain et ce vin ne sont pas des finalités. La finalité, c’est que ce pain et ce vin nous permettent de vivre en communion profonde, en communion réelle, nous tous ensemble et nous avec le Christ. Par ce pain et ce vin, toute l’humanité (la nôtre mais aussi celle que Jésus porte en lui) et toute la divinité de Jésus se lient afin de former un seul unique et même corps. Cette communion intégrale est d’ailleurs ce que le diacre (ou le prêtre) rappelle lorsqu’il prépare la coupe de vin lors de la messe en disant : « comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ».

Voici donc un deuxième élément dans notre chemin de redécouverte de l’eucharistie : le pain et le vin visent une communion totale entre frères et avec le Christ.

*****

Dans la très belle séquence dont un extrait a été lu, qu’avons-nous entendu : « souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille, ni son état n’est en rien diminué ».

Voici ici un troisième indice : Jésus n’est pas présent « matériellement » dans l’hostie ; matériellement, c’est du pain et du vin.

La présence de Jésus dans le pain et le vin n’est pas une présence locale physiquement accessible. En soi, Jésus n’est pas réduit à un objet : lorsque le prêtre brise l’hostie ou que nous mordons dedans, Jésus n’a pas mal ! Si l’on croit que la présence de Jésus est « locale » dans l’hostie, on est proche de l’idolâtrie avec le Saint-Sacrement, comme vis-à-vis d’un objet qu’on aurait ensorcelé avec une formule magique : parfois, on a l’impression que certains vouent un culte à l’hostie elle-même. Or ce n’est pas l’hostie que l’on adore, c’est Jésus présent à nous.

Ce n’est pas une présence physique, mais ce n’est pas pour autant une simple présence symbolique : le pain et le vin ne sont pas des représentations d’un Jésus qui serait ailleurs. Lorsque nous recevons l’hostie, nous ne ravivons pas une « madeleine de Proust » qui ramènerait à notre mémoire que Jésus est toujours vivant quelque part.

Mais alors, si cette présence de Jésus n’est ni physique, ni symbolique, qu’est-elle ? C’est une présence réelle. Pas au sens de « res » la chose, l’objet matériel, mais au sens de « réellement ». Jésus est véritablement présent, Il est vraiment là, présent à nous, disponible.

On peut être présent physiquement sans être réellement présent : par exemple lorsque vous êtes dans la même pièce que votre enfant mais que vous êtes absorbé par l’écran de votre smartphone, vous êtes présent physiquement, mais vous n’êtes pas réellement présent à votre enfant.

La présence réelle du Christ dans l’eucharistie est un peu la même chose : c’est un sacrement, c’est-à-dire un signe tangible d’une réalité invisible. Et c’est ici le sacrement de la présence à nous de Jésus vivant, une présence qui dure, une présence tout à fait personnelle, une présence qui tend à prolonger celle que Jésus ne nous donne plus directement depuis son Ascension.

*****

Enfin, que nous dit l’évangile ? Dans cet évangile, il y a 10 petites phrases ; et en 10 petites phrases, Jésus emploie 13 fois les mots « manger », « boire », « nourriture » ou « boisson ». Cette insistance est très signifiante : elle nous fait comprendre que l’eucharistie est faite pour être mangée afin qu’elle donne la vie.

L’eucharistie n’est pas un produit hors-sol. Elle n’est pas destinée à rester perpétuellement conservée dans le tabernacle, dans une boîte, comme dans un musée. On peut presque dire que lorsqu’il y a beaucoup trop d’hosties dans le tabernacle, c’est mauvais signe, c’est que l’eucharistie est coupée de sa pleine fécondité.

La finalité ultime du Saint-Sacrement est d’être pris, d’être mangé, d’être distribué, afin de se mêler à nous, dans notre vie quotidienne, et que nous devenions nous-mêmes les sacrements vivants de l’amour entier, total, présent, personnel de Dieu pour l’humanité.

****

Alors que tirer de ces quelques éclairages ?

Je crois qu’ils peuvent nous aider à comprendre que, par l’eucharistie, Jésus s’est offert un moyen très fort d’être présent à nous, et nous donne en même temps la possibilité de le rejoindre dans une relation toute personnelle.

Et c’est bien là le projet de Dieu : nouer avec chacun de nous une relation qui donne vie ; permettre que nous soyons présents l’un à l’autre, réellement présents, dans une communion d’amour, inséparables comme la tête est inséparable du reste du corps.

Oui mais voilà : être présent l’un à l’autre, ça suppose une démarche de l’un ET de l’autre. Sans quoi on n’est pas réellement présent l’un à l’autre. Cela implique la volonté des deux parties d’être présent, la volonté de se donner dans cette relation.

Jésus, lui, s’offre en permanence, il se donne en permanence, il a en permanence l’intention d’être avec nous. Mais si cette intention se termine dans une boîte fermée, dans un coin d’une église, sans que personne n’y prête attention, cela n’a pas d’autre sens qu’une prouesse magique. Ça nous fait une belle jambe que le pain soit devenu la chair du Christ et que le vin soit devenu son sang. A quoi ça sert si on en reste là ?

La présence de Jésus à nous ne devient réellement tangible, cette présence ne se concrétise, ne se vit réellement, en d’autres termes cette présence ne devient un sacrement que lorsque nous répondons à cette même intention, lorsque nous-même faisons la démarche d’être, nous aussi, présents à Jésus.

Sommes-nous présents à lui ?

Cette démarche d’être présent à Dieu, nous pouvons la faire à la messe. Lorsque nous mangeons ce pain, ce n’est pas nous qui mangeons le Christ, c’est lui qui nous assimile à lui. Il fait de nous son corps. Je pense que lorsque nous disons « Amen » en communiant à l’hostie, c’est alors que nous manifestons cette démarche d’être présent à Dieu, que nous pouvons accepter cette invitation d’être le corps de Jésus ; nous acceptons alors de vivre en sa présence, par tout notre être.

Devenir le corps de Jésus… Manger l’hostie n’est pas le seul et unique moyen de vivre réellement en présence de Jésus en devenant son corps. Il y en a d’autres : et notamment, nous vivons cela dans notre Assemblée de baptisés à chaque messe : vous écouterez attentivement tout à l’heure la prière eucharistique que dira notre prêtre : après avoir demandé à l’Esprit saint de sanctifier le pain pour qu’il devienne le corps du Christ, il demandera aussi à l’Esprit-Saint de transformer notre assemblée en son corps.

Le même Esprit qui a transformé le pain en corps du Christ transforme également l’assemblée que nous formons en corps du Christ. Il est impossible de dissocier ces deux présences réelles, celle du Christ présent dans l’hostie et celle du Christ présent dans l’assemblée. L’un comme l’autre manifeste cette présence réelle de Jésus au monde.

C’est pourquoi toute notre assemblée devrait oser s’approcher de l’autel lors du mouvement de communion, quelle que soit la situation personnelle de chacun : certains révèleront cette communion au corps du Christ en recevant l’hostie, d’autres le feront en recevant la bénédiction de Dieu par les mains du ministre. Tous manifesteront ainsi leur accord pour devenir vraiment le corps de notre Christ.

Jésus nous appelle à être son corps, à prêter nos mains, notre bouche, nos yeux afin de lui permettre de se manifester encore et encore à notre monde comme il aurait souhaité le faire lui-même s’il était resté. C’est un véritable envoi en mission !

La question qui se pose à nous et qui peut alimenter notre redécouverte de l’eucharistie, c’est, au fond : « Suis-je prêt ? »

Suis-je prêt à relever ce défi de vivre en ta présence Jésus ?

Suis-je prêt à être ton corps, avec toutes les conséquences que cela aura inévitablement sur ma vie ?

Suis-je prêt à endosser cette mission de chrétien ?

Oui, suis-je prêt ? »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.