Quelle violence dans l’histoire que Jésus raconte aux prêtres et aux anciens du peuple : il y a des morts partout, des meurtres, des combats, des rejets, du vol…

Pourtant tout commençait bien : le propriétaire d’un domaine plante une vigne. C’est un véritable constructeur, un bâtisseur : il a construit tout ce qu’il faut pour que cette vigne donne de beaux fruits, il en a pris soin en construisant une clôture, un pressoir, une tour de garde ; et il confie le soin de cette vigne à des vignerons.

Là où ça se gâte, c’est lorsque ces vignerons ne veulent plus rendre le fruit de cette vigne. Le maître du domaine envoie alors de multiples vagues de serviteurs dans le but de parlementer avec les vignerons ; mais tous sont tués ou maltraités ; et quand le fils-même du propriétaire est envoyé, les vignerons le tuent en s’exclamant : « nous aurons l’héritage ! ».

Cette parabole, Jésus l’a donnée aux prêtres et aux anciens, à Jérusalem, en l’an 33 après lui-même. Mais aujourd’hui à Issy-les-Moulineaux en 2020, c’est à nous que Jésus donne désormais cette parabole. Alors, en quoi peut-elle nous toucher aujourd’hui ?

Regardons un peu cette parabole, les attitudes des uns et des autres. C’est très clair : on assiste à un véritable hold-up : « Tuons-le, nous aurons l’héritage » disent les vignerons.

Cet héritage je le prends, je m’en saisis, je le vole… je n’attends pas qu’on me le donne.

Mais que devient cet héritage ? La parabole nous le dit implicitement à la fin : il ne porte pas de fruit. « le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple QUI LUI FERA PRODUIRE SON FRUIT » [enfin ! pourrait-on ajouter]

Eh oui : cet héritage – et vous aurez compris qu’il s’agit ici du Royaume de Dieu – cet héritage ne peut porter du fruit QUE lorsqu’il est donné, lorsqu’il est reçu et accueilli, et non pas quand on s’en saisit : « le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être DONNÉ à un peuple qui lui fera produire son fruit ». Sans cette logique de don, le Royaume n’est pas vraiment fructueux.

L’important pour Dieu, son projet de fond, c’est que toute chose porte du fruit, que toute chose soit féconde. Et c’est d’ailleurs le rôle de l’Esprit-Saint, ce pourvoyeur de vie, de nous accompagner à chaque instant pour que nos vies soient fructueuses, quelle que soit la forme de cette fécondité.

Dieu nous dit que, vouloir se saisir de son Royaume plutôt que le recevoir, c’est se lancer sur un chemin stérile. Ce n’est pas nouveau : déjà Adam et Eve s’étaient fait avoir de la même façon par le serpent avec le fruit de l’arbre de Vie ; et c’est d’ailleurs exactement la même technique qu’emploie Satan pour tenter Jésus au désert : « prends, prends ! »

Non : Dieu donne. A profusion. Son héritage, il est venu nous le donner ! Nous n’avons rien à voler, nous avons juste à accueillir. Avec Dieu, prendre, c’est d’ailleurs accueillir. Tout à l’heure, nous entendrons les paroles de la consécration : « Prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous ». Ce n’est pas une capture, c’est une invitation. « Moi Jésus, je me donne à toi librement. Accueille-moi librement. »

Ainsi, parce qu’ils ont cherché à prendre plutôt qu’à accueillir, les vignerons se sont lancés sur une fausse piste ; ils marchent dans une voie sans issue ; ou plutôt une voie dont l’issue est la violence et la mort. Ils s’éloignent du projet d’amour de Dieu.

Or un deuxième enseignement que nous donne cette parabole, c’est l’attitude du maître de la vigne : il va manifester une persévérance extraordinaire en envoyant une multitude de serviteurs et même son propre fils. II y a de quoi être touché par cette sollicitude de Dieu qui, encore et encore, va s’efforcer de sortir ces vignerons de l’impasse dans laquelle ils se sont engouffrés. Il a tellement mieux à leur offrir que cette spirale de violence et de mort !

Cette attitude de Dieu, il faut que nous la regardions et que nous nous en souvenions : quand Jésus leur demande ce que le maître de la vigne fera lorsqu’il viendra, les prêtres et les pharisiens répondent : « Ces misérables, il les fera périr misérablement ».

Eh bien non. Dieu ne les fera pas périr. C’est un Dieu de Vie, non un Dieu vengeur. Il va aller vers eux, encore et encore, et offrir son amour, son Alliance, jusqu’à ce que, peut-être, ils l’accueillent et se convertissent de leur plein gré.

L’attitude que Dieu a à l’égard des vignerons, il a la même à l’égard de nos petites personnes. Inlassablement, Dieu nous tend la main pour nous sortir des impasses de mort dans lesquelles nous nous jetons. Inlassablement il nous propose de revenir sur un chemin de vie. Inlassablement, il vient nous sauver du péché. Inlassablement, il prend soin de nous, se préoccupe de nous. Il est présent à nos côtés dans la vie.

Bon, vous me direz que c’est bien beau tout ça, mais dans la parabole, les vignerons semblent conserver le domaine qu’ils ont volé. On a l’impression qu’ils sont les grands gagnants de la guerre. Et effectivement, on aurait pu croire que le meurtre du fils était le dernier mot de l’histoire.

Or c’est totalement le contraire : les vignerons tuent et rejettent les serviteurs et le fils, mais ils ne gagnent pas.

D’abord, l’héritage est une coquille vide, il n’y a pas de fruits à profusion. C’est encore trop tôt : l’héritage est le fruit d’une construction, et cette construction n’est pas encore terminée. Mais surtout, après la mort du fils, le mouvement de construction n’est pas stoppé. Au contraire, il va se poursuivre ; et bien plus encore ! Les pierres rejetées, les rebuts de la construction, deviennent des « pierres d’angle » !! C’est l’annonce d’une résurrection de toutes ces pauvres pierres rejetées, à la suite de Jésus, la première d’entre elles. Aujourd’hui, nous sommes les pierres de la construction du Royaume de Dieu. Et c’est autour de cette pierre angulaire que nous le construisons.

« La pierre rejetée est devenue la pierre d’angle » …

Si l’on veut que le Royaume de Dieu repose sur de bonnes bases et porte du fruit, il y a donc grand besoin de prêter attention à toutes ces pierres rejetées, à tous ces rebuts ; car, Jésus nous le dit explicitement ici : ce sont ces pierres-là qui constituent les vraies pierres angulaires et qui permettent que le Royaume de Dieu se construise.

Sans ces pierres-là, il n’y a pas de Royaume de Dieu sur terre du tout.

Quelles sont ces pierres rejetées ? Tout l’évangile nous donne de multiples exemples : ce sont très clairement les personnes que Jésus va prioritairement rencontrer : les petits, les pauvres, les exclus de la société, les malades, les handicapés… En fait, ce sont toutes les personnes à qui il manque l’amour pour vivre vraiment. Les pauvres en amour !

Voilà les pierres que le monde rejette, masque, méprise, ou voudrait voir disparaître. Et voilà justement les pierres angulaires au fondement de toute construction : ce sont les pierres d’angle de notre Église à laquelle Jésus s’identifie.

Nous sommes l’Église des pauvres.

Pas au sens d’une Église qui accueille les pauvres en leur faisant la charité tout en les laissant quand même un peu en marge ; mais au sens de : cette église est faite avant tout pour ceux qui sont pauvres ; notre pauvreté est la pierre angulaire constitutive de l’Église. Nous tous ici présents, nous arrivons avec notre pauvreté, diverse, que nous masquons souvent par pudeur. Mais c’est pourtant cette pauvreté, ces failles, ces limites qui, parce qu’elles sont inhérentes à notre condition humaine, ont tant d’importance pour Dieu et permettent notre communion à lui.

Comme dit Michel Audiard : « heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière ». Les failles de chacun, notre vulnérabilité, sont des lieux où niche l’Esprit-Saint, c’est là que Dieu nous rejoint. C’est là que notre vigne commence à porter du fruit. C’est sur cette pierre que l’Église fonde son existence et son être-même.

Nos failles font de nous les merveilles que Dieu a désiré créer.

Alors, s’il y a une chose à demander aujourd’hui, c’est

  • de redécouvrir que notre cœur de pauvre est le don le plus précieux que Dieu nous a fait,
  • de ne pas en avoir peur, de l’accueillir
  • et de regarder le plus pauvre que nous avec ce cœur de communion.

Alors le Royaume de Dieu apparaitra.

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