Il y a quelques années, des personnes sont venues dans le diocèse proposer une nouvelle manière de procéder à la quête pendant la messe. Cette manière s’adressait surtout à ceux qui ont la chance de payer des impôts sur leur revenu : vous le savez, et chaque année on vous le redit, quand vous donnez au denier de l’Eglise, vous pouvez bénéficier d’une réduction de vos impôts ; or, ce n’est pas le cas lorsque vous donnez à la quête à la messe. Eh bien, ces personnes proposaient quelque chose d’assez ingénieux : elles proposaient que vous ajoutiez le montant de ce que vous donnez à la quête à votre don habituel au denier de l’Eglise, ce qui permettait de bénéficier d’une réduction d’impôt y compris sur le montant de la quête ; ce qui pouvait permettre de donner plus.

Je me souviens que, lorsque ce système nous a été présenté, ma voisine, comme d’autres personnes, s’est écriée : « Oh, je trouve ça malsain ! » ; à l’inverse d’autres, moins nombreux (peut-être des gens qui payaient beaucoup d’impôts ;-)), trouvaient cela « ingénieux », « moderne », et étaient plutôt tentés par cette proposition.

Je vous raconte cette anecdote car elle montre bien que notre rapport aux choses et aux évènements peut être très différent d’une personne à une autre. Chacun a son opinion et les choses ne sont pas uniformes. Et constater cela peut nous permettre d’aborder avec un regard un peu plus large l’attitude du gérant dont Jésus nous parle dans sa parabole.

De prime abord, soyons honnête, on a un peu l’impression que Jésus, dans cette parabole, fait l’éloge de l’art de truander lorsqu’il dit « le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ». Et du coup on n’est pas très à l’aise. Eh bien c’est souvent justement quand quelque chose dans l’Evangile nous met dans l’inconfort qu’il y a quelque chose d’important pour nous, et donc quelque chose à creuser.

Alors qu’est-ce que notre Père du ciel peut bien avoir à nous dire par cet évangile ?

C’est vrai, le gérant n’est pas tout pur, il n’est pas désintéressé : il cherche à atténuer une chute un peu trop douloureuse en se faisant des amis pour l’avenir (aujourd’hui on dirait : « il s’est constitué un réseau »). Mais au final, il y a au moins un aspect positif : les pauvres endettés repartent avec moins de dettes.

Au moins, ce gérant n’a pas agi comme tant d’autres à l’époque, il ne s’est pas comporté comme ceux que dénonce Amos dans la première lecture (ceux qui faussent les balances pour s’enrichir et qui asservissent le pauvre en le vendant comme esclave pour le prix de produits de première nécessité comme une paire de sandales). Dans la lecture d’Amos, les riches semblent pris de frénésie, l’argent semble être la seule chose qui importe. Notre gérant, lui, fait preuve d’une sorte de détachement intelligent à l’égard de l’argent.

Tout cela pour montrer qu’on peut avoir le réflexe de jauger l’attitude du gérant sous un axe moralisateur en se disant que ce n’est ni beau ni bien, ni juste. Mais c’est une piste superficielle. En fait, l’évangile ne se lit jamais à coups de morale. Les paraboles de Jésus ne se terminent jamais par « la morale de cette histoire, c’est que… ». Jésus ne nous parle jamais du bien et du mal. Il nous parle de ce qui mène à la vie et de ce qui mène à la mort. Jésus n’est pas un moralisateur ; c’est un libérateur.

Et c’est justement de liberté dont il est question dans cet évangile. Plus que d’argent, c’est de liberté dont Jésus nous parle. Dans cet évangile, Jésus ne dit pas le moins du monde que l’argent est mauvais ; il nous montre que, ce qui est mauvais, c’est d’être asservi à l’argent. Et c’est ce qui nous est dit à la fin : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ». Il faut choisir : ou bien servir Dieu ou bien être asservi par l’argent.

C’est vraiment de liberté dont il est question dans cet évangile. Si l’on ne parvient pas à laisser l’argent (ou tout autre chose) à sa juste place, celle d’un moyen, si la quête de telle ou telle chose domine notre vie, si tous nos actes, tous nos choix visent à plus de revenus, plus de confort, plus de croissance, plus de pouvoir, qu’importe les moyens, alors nous suivons une idole.

Et on ne peut pas être libre quand on est esclave d’une idole. L’idole est toujours une maitresse jalouse et possessive qui en demande toujours plus.

L’argent est ici une occasion pour Jésus de nous appeler à la liberté des enfants de Dieu, à sortir de tous ces esclavages et à prendre en main notre vie, y compris en étant astucieux ou ingénieux. Car faire preuve d’astuce ou d’ingéniosité, c’est une qualité ! Quelles que soient les circonstances de ma vie, je suis doté d’une liberté d’action, d’une liberté de choisir la direction à donner à ma vie.

En réalité, la question essentielle de cet évangile est celle que se pose le gérant : « Que vais-je faire puisque mon maître me retire la gestion ? » Et cette question, elle doit être la nôtre : « que vais-je faire de ce qui m’arrive dans ma vie ? »

Vais-je en tirer un surcroît de vie ? Ou bien vais-je m’enfermer dans une forme de mort ? ».

Mon patron me licencie ? Que vais-je faire de ce qui m’arrive ?

Mes enfants vont dans le mur ? Que vais-je faire de ce qui m’arrive ?

Mon conjoint demande le divorce ? Que vais-je faire de ce qui m’arrive ?

Notre monde va prendre 7 degrés d’ici la fin du siècle ? Qu’allons-nous faire de ce qui nous arrive ?

A chaque fois, nous aurons à composer avec la réalité ce qui est dans nos mains. Nous aurons à choisir la manière d’être habiles en tenant compte des circonstances qui, elles, s’imposent à nous. Jésus parle de « fils de ce monde » et de « fils de la lumière ». En fait nous sommes les deux. Nous sommes des « fils de ce monde » parce que nous ne sommes pas des anges : nous sommes des hommes et des femmes incarnés, nous avons un corps, des facultés, une affectivité, et nous vivons dans un monde incarné, affecté par la mort ;

Mais nous sommes aussi des « fils de la lumière » parce que nous sommes aussi des êtres spirituels, en relation avec notre Dieu créateur.

En tant que « fils de ce monde », nous aurons à poser des actes, des choix.

Mais parce que nous sommes AUSSI des « fils de la lumière », chacun de nos choix, tout en restant profondément ancré dans notre réalité, peut se laisser inspirer par un bien plus grand, celui du service de Dieu qui nécessite d’être libre et qui rend libre.

Cette liberté n’est pas un abandon de la part de Dieu. Avoir la possibilité de choisir comment diriger notre vie ne signifie pas que nous sommes livrés à nous-mêmes, seuls dans la tourmente face à des évènements qu’il nous est le plus souvent impossible de maîtriser : la bonne nouvelle c’est que, désormais et d’une manière plus explicite lorsque nous recevons le baptême, l’Esprit Saint nous accompagne, qu’il ne nous laisse jamais tomber et qu’il nous apportera un éclairage à chaque fois que nous lui demanderons de nous guider.

Quand nous sortirons de cette messe, la réalité de notre vie sera toujours là, nos petits et grands soucis n’auront pas disparus. Alors, qu’allons-nous faire de tout ce qui nous arrive ? Choisirons-nous d’aller vers plus de vie ? Ou choisirons-nous de poser des actes qui mènent vers le refus de la vie ? Que choisirons-nous de faire afin d’être, comme Jésus le demande, à la fois habile comme « les fils de ce monde » tout en restant fidèle à notre vocation d’être des « fils de la lumière » ?

Amen.

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