Cet Evangile de Jean nous montre 7 disciples bien dépités. On dirait des jeunes qui s’ennuient et tournent en rond sans savoir quoi faire. C’est l’ennui après l’intensité. La vie reprend son train-train. Elle a un goût plat, fade. D’une fadeur à la mesure de l’espoir qu’avait suscité cette rencontre de trois années avec ce type extraordinaire qu’était Jésus.

« Seigneur, vers qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » disait Pierre. Maintenant que tu n’es plus là Jésus, qu’allons-nous devenir ? Tout s’effondre sous les pas.

Alors, on se retrouve à plusieurs, dans un lieu du quotidien « d’avant », le bord de la mer de Tibériade ; un peu pour se soutenir et se réconforter, comme on le fait après tout deuil. On n’a pas beaucoup de choses à se dire. Chacun sent le poids de la tristesse et l’ennui.

Il n’y a rien d’autre à faire que de reprendre son travail quotidien, après l’avoir sans doute pas mal délaissé pour suivre des chimères. « Je m’en vais à la pêche ». « On vient avec toi ». Oui : que faire d’autre ?

Et comme si leur cœur n’était pas déjà assez lourd, voilà qu’en plus, après avoir pêché toute la nuit, ils ne prennent rien !

Et voilà que se présente à eux un inconnu qui les invite à jeter le filet une nouvelle fois. Cela aurait pu leur mettre la puce à l’oreille… La situation a un parfum assez prononcé de « déjà vu »… Et effectivement, comme l’autre fois, le filet est plein de gros poissons.

Et là, tout est réactivé : Jean dit à Pierre : « c’est le Seigneur ! » Et Pierre ne cherche même pas à vérifier : il se jette à l’eau !

Elle est belle cette attitude de celui qui se jette à l’eau ! Ce geste, c’est comme un rattrapage de tout ce qui a pu être manqué par Pierre : son manque de confiance en Jésus alors que ce dernier marchait sur l’eau ; sa couardise lorsqu’il renie son Seigneur le soir du procès de Jésus dans le Temple. Peut-être aussi sa lenteur à réagir lorsque son frère André vient lui dire :  « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ. André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas » – ce qui veut dire : Pierre ». Cette rencontre ne s’est peut-être pas faite immédiatement et André a peut-être dû insister.

Se jeter à l’eau, c’est un acte entier, et sans calcul : est-ce une manière pour Pierre de compenser le fait d’avoir demandé quelle récompense il y aurait pour ceux qui ont tout quitté ?

A chaque fois, la réaction de Pierre est introduite par l’affirmation de quelqu’un : André lors de la première rencontre, Jean lors de la dernière. Comme si la vocation de Pierre était, dès le départ, celle qu’exprimera Jésus juste après ce passage d’Evangile : « quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Finalement, il faudra que Pierre se rappelle que son identité première, c’est « Simon, celui qui écoute », celui qui écoute pour mieux se laisser conduire. Comme s’il s’agissait de se souvenir que « la grâce ne détruit pas la nature, elle la perfectionne » et que l’homme fougueux qu’est Pierre doit diriger sa fougue vers une autre direction et se laisser guider par les autres.

Bon. Mais ne trouvez-vous pas qu’il y a quand même quelque chose de particulier dans cet évangile ? en fait, il arrive alors que Jésus est déjà apparu 2 fois aux disciples, qu’il a fait toucher à Thomas ses mains et son côté ; qu’il les a envoyés en mission. Et Pierre va à la pêche comme si rien ne s’était passé ? Ce passage a probablement pour but de montrer quelque chose de spécifique.

Pour moi, ce passage annonce la fécondité prophétique de l’Eglise : avec des hommes clairement imparfaits comme Pierre, et peut-être justement A CAUSE DE cette imperfection, l’Eglise aura la capacité de ramener à Jésus des filets pleins, et des filets qui ne craqueront pas en dépit de la quantité !

Je n’ai pas appris le grec, mais j’ai lu quelque part que Jean n’utilise pas toujours le même mot grec pour dire poisson : pour les poissons pêchés par Pierre et ses compagnons il emploie le mot grec ichtus alors que, pour désigner les poissons grillés sur la braise au bord du lac, il emploie le mot opsarion. Quand on sait que le mot ICHTUS servait de marqueur identitaire du chrétien, on comprends clairement que les poissons pris dans le filet sont justement les personnes qui vont connaître Jésus-Christ.

Et qui nourrira ces nouveaux petits chrétiens : Jésus lui-même, qui prend le pain et le poisson et le leur donne ; comme il l’avait fait avec les 5000 personnes lors de la multiplication des pains.

C’est donc le début d’une magistrale aventure qui se manifeste devant nous. Jean nous mène à la réalité de l’Eglise, à sa mission et, compte tenu de la quantité de poissons, à son universalité : tous les êtres humains, d’où qu’ils soient, sont appelés à faire partie de l’Église et à vivre en union avec Dieu.

À nous, hommes et femmes imparfaits comme Saint Pierre, d’être témoins de cette espérance folle.

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