Encore un évangile où les pharisiens s’en prennent plein la figure ! A force d’entendre des passages où les pharisiens sont présentés sous un jour détestable, on a vraiment l’impression que Jésus a un compte à régler avec eux.

Reconnaissons-le : nous n’aimons pas beaucoup ces pharisiens. Mais Jésus, lui, peut-on dire qu’il ne les aimait pas ? Comment le Fils de Dieu qui a été envoyé sur terre pour qu’aucun homme ne se perde pourrait-il exclure une catégorie de personnes, les pharisiens ? J’aimerais juste réhabiliter un peu ces pauvres pharisiens et essayer d’expliquer pourquoi Jésus est souvent aussi dur avec eux. cela nous aidera à comprendre cet évangile.

Il semblerait que les pharisiens soient apparus dans l’histoire à un moment où ça n’allait pas fort dans le judaïsme. La loi révélée par Dieu, on en prenait et on en laissait, on se bricolait une religion confortable. Même les prêtres étaient corrompus !

Des laïcs pieux, au bon sens du mot, se sont alors levés pour dire : ça suffit ! Ils ne voulaient plus d’une religion qui favorisait l’hypocrisie : au Temple, tout le monde cherchait à se faire remarquer par Dieu en offrant les plus beaux sacrifices, et, en dehors du Temple, chacun menait sa vie comme il l’entendait.

Des hommes ont donc réagi en proposant un retour à une foi pure et bonne, qui remettrait au cœur de la vie la Loi révélée par Dieu, une Loi qu’on arrêterait de bricoler et qu’on prendrait sans rien laisser de côté. Les pharisiens ont donc été à l’origine d’un courant de renouveau dans le judaïsme.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi Jésus est-il si critique à leur égard ? Tout simplement parce qu’il y a eu un glissement assez facile à comprendre. La loi, ce sont les 10 paroles de vie données par Dieu à Moïse.

Seulement 10 paroles, ça ne suffit pas pour conduire sa vie dans toutes les situations. Alors, peu à peu, on a explicité ces 10 paroles, on a cherché leur application dans toutes les situations de la vie, et on en est arrivé à 613 prescriptions dont 248 commandements « obligeant à faire » et 365 commandements « interdisant de faire ». Le glissement, on le comprend bien, c’est le légalisme. Progressivement, un certain nombre des pharisiens (mais pas tous !) sont devenus les champions du respect des moindres prescriptions, mais ils ont oublié que la finalité de ces prescriptions c’est de vivre l’Alliance selon le cœur de Dieu, c’est de vivre une relation d’amour, avec Dieu, et avec les autres.

Les pharisiens ont donc progressivement falsifié le visage de Dieu et ont présenté sous un angle infiniment mécanique la relation à entretenir avec lui.

Voilà pourquoi Jésus est dur avec eux. C’est sans doute parce qu’il trouve que leurs intuitions de départ sont bonnes que Jésus se désole de voir le glissement dont ils ne sont même pas conscients. Alors, il va chercher à les réveiller et pour cela il n’hésite pas à les secouer. C’est ce que fait Jésus régulièrement dans l’Évangile à leur égard, et notamment dans cette parabole.

Cette parabole, même si elle pose comme personnages un pharisien et un publicain, dépasse complètement ces figures et nous concerne aussi, parce que le vrai sujet ce n’est pas de condamner qui que ce soit, ni de distribuer des « bons points » ; le vrai sujet, c’est de savoir comment faire pour revenir à l’intuition initiale selon laquelle la finalité de notre vie, c’est de vivre la relation d’amour que Dieu souhaite avec nous.

Les attitudes de ces deux personnages, et surtout leur contraste, indiquent quelle image les uns et les autres peuvent avoir de Dieu. Si Jésus fustige l’attitude du pharisien de cette parabole et s’il conforte celle du publicain, c’est dans le but de nous révéler le vrai visage de son Père et nous éloigner des fausses routes qui ne mènent pas à Lui.

La première lecture et le psaume nous donnent des mots pour comprendre que Dieu est un Père qui se laisse toucher jusqu’en ses entrailles.

« Le Seigneur écoute, il est attentif aux cris des justes ; il entend ceux qui l’appellent et de toutes leurs angoisses il les délivre ; il est proche du cœur brisé, il sauve l’esprit abattu. » Dieu comprend très bien nos cris, nos appels, nos angoisses, nos abattements. C’est le visage d’un Dieu « miséricordieux » ; en hébreu, miséricordieux signifie « entrailles qui frémissent ». C’est dire qu’il n’est pas besoin de fioritures ; il n’est pas besoin d’essayer d’acheter le cœur de Dieu avec de belles formules, il est par essence attentif et à l’écoute.

Ben oui, ce qui plait à Dieu, c’est la simplicité de la prière confiante ; son attente, c’est que nous entretenions avec Lui une relation VRAIE, et non des faux-semblants. Dieu n’a que faire de nos artifices et de nos formalismes. Nos formalismes ne sont pas mauvais, mais ils ne sont pas pour Dieu, ils sont pour nous, pour nous aider à prendre le juste chemin qui mène à Lui.

C’est vraiment une relation de proximité, une relation intime que Dieu recherche. Plutôt que de rester lointain et inaccessible, notre Dieu vient jusqu’à nous. Il s’adapte à notre vulnérabilité de manière à pouvoir nous rejoindre. Il se fait accessible afin de favoriser la vraie rencontre.

Dieu s’abaisse. C’est vraiment à cela que l’on peut penser lorsqu’on entend la dernière parole de cet Evangile: « celui qui s’abaisse sera élevé ». Ce que l’ensemble de l’Evangile nous révèle, de l’incarnation jusqu’à la crucifixion, c’est bien que cet abaissement est la caractéristique même de Dieu. Et ce mouvement d’abaissement doit nous guider dans nos propres attitudes. C’est en s’abaissant que la rencontre avec Dieu peut se faire. Voilà ce que nous dit Jésus.

Est-ce que vous voulez savoir où et comment vivre à coup sûr une vraie et juste expérience d’abaissement ? Je vous propose un « pense-bête » infaillible. Il y en a d’autres, mais celui-là marche à tous les coups ! C’est lsaac Newton qui l’a révélé sans le savoir : en 1687, il exposait la loi de la gravitation universelle. Vous prenez une pomme, vous la lancez en l’air ; que fait-elle ? Elle tombe par terre. Que faites-vous alors pour la reprendre ? Vous vous baissez !!

« Celui qui s’abaisse sera élevé » … Prenons les mots au pied de la lettre : tous les moments où l’on se baisse vers quelqu’un permettent de vivre cela. Le truc qui marche à coup sûr, c’est de s’abaisser vers celui qui est plus bas que soi : celui qui est allongé, celui qui est à terre, celui qui a besoin d’aide pour se relever, pour se tenir debout, pour grandir.

C’est ce que fait un père ou une mère à l’égard de son enfant.

C’est ce qu’ont fait les brancardiers partis à Lourdes avec le diocèse à l’égard des malades dont ils prenaient soin.

C’est ce que vivent les maraudeurs de notre ville avec les gens de la rue.

C’est ce que vivent les scouts, puisque les plus grands aident les plus petits.

C’est ce que nous faisons à chaque fois qu’humblement, nous prêtons attention aux besoins et difficultés de ceux qui nous entourent.

Mais s’abaisser, c’est aussi se baisser jusqu’à toucher le sol, c’est regarder notre terre et en prendre soin.

C’est prendre conscience que notre mode de vie ne peut pas rester inchangé et que nous allons devoir rompre avec pas mal de nos habitudes ; non seulement par survie, mais tout simplement par attention à l’autre, parce qu’aujourd’hui ce sont les pays pauvres qui subissent les conséquences de notre confort et de notre consommation. Si la théologie intègre la notion de « péché écologique », comme le laisse entendre le Synode en Amazonie qui vient de se clore, nous aurons peut-être l’électrochoc dont nous avons besoin.

Il n’est question ici ni d’actes héroïques, ni d’actions spectaculaires ; il n’est pas besoin d’en faire des tonnes car ce serait même prendre le risque que l’apparence, la quantité, la performance prenne le dessus.

Au fil de la vie, ce sont des expériences où l’on devient serviteur. De ces expériences, on ressort effectivement grandi.

C’est finalement une spiritualité du quotidien que cet évangile propose aujourd’hui au travers du contraste de ce pharisien (qui s’élève, compte ses mérites et se satisfait de lui-même), et de ce publicain (qui s’abaisse et se rend disponible à l’action de Dieu) : ce mouvement d’abaissement est un mouvement qui « vas vers » l’autre afin de le rejoindre ; un mouvement de mise au service les uns des autres, où se mêlent esprit et corps, un mouvement à la fois pleinement humain et profondément spirituel. Il ouvre une porte au cœur-même de notre vie et crée un petit espace où notre Dieu d’amour peut nous rejoindre et où la relation d’amour avec lui peut se vivre.

C’est un puissant mouvement d’incarnation que personne ni aucune loi morale extérieure ne pourra nous contraindre à vivre. Au contraire, ce mouvement s’accueille, comme on accueille un cadeau, en se présentant devant Dieu, en disant avec confiance : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ».

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