Je ne sais pas ce qu’il en est de votre côté, mais pour ma part j’aime beaucoup cet évangile. J’aime cet évangile parce qu’il est totalement… indécent. Pas pour l’indécence en soi, mais parce que l’indécence, c’est en fait un excellent révélateur de nombreuses choses sur ce que notre Seigneur veut vivre avec nous.

Indécent ! Voyez plutôt : des gens amènent un homme sourd et probablement bègue, et ils supplient Jésus de poser la main sur lui.

Jésus aurait pu se contenter d’une gentille bénédiction, d’une simple imposition des mains, c’est tout ce qu’on lui demandait ! Non : il emmène notre sourd à l’écart et il commence… à lui mettre les doigts dans les oreilles !… Et il lui touche la langue avec sa propre salive !…

Jésus ! Que t’arrive-t-il ? Aurais-tu perdu la tête ?

Évidemment, on peut voir là les gestes habituels d’un thérapeute, comme le pratiquerait aujourd’hui un ostéopathe pour décoincer le dos d’un patient, (même si, en l’occurrence, on se croirait plutôt chez l’ORL), mais il n’en demeure pas moins que l’attitude de Jésus est particulièrement intrusive.

Cependant, ce geste de Jésus prend une autre dimension, très belle et très touchante, lorsqu’on le remet dans la perspective de sa mission. La mission de Jésus, c’est de renouer les liens brisés.

Sa mission c’est de remettre en vie les relations qui ont pu mourir ou se rompre, celles qui nous touchent au plus intime.

Bien souvent nous restons emmurés avec nos ressentis, nos douleurs et nos blessures. Nos jugements, nos interprétations, nos conflits, nos querelles familiales peuvent être de véritables sources d’enfermement. Nos maladies, nos souffrances, nos incompréhensions sont parfois des carcans d’isolement et nous nous replions car c’est peut-être le seul moyen que nous avons trouvé de nous protéger dans notre vulnérabilité.

Finalement, ce que fait Jésus, c’est nous rejoindre au cœur-même de cet enfermement et nous en délivrer. Le pauvre sourd-bègue de notre évangile avait besoin d’être rejoint au plus intime de lui-même pour que vole en éclats le carcan du handicap qui l’empêchait de vivre. C’est un peu comme si Jésus l’avait sorti d’un scaphandre qui l’empêchait d’être en relation avec l’extérieur.

Pour guérir la personne de son handicap, pour nous rejoindre au plus intime, Jésus touche l’organe malade. Il n’a pas peur d’aller au cœur du mal, il touche le mal à sa racine-même : il met ses doigts dans les oreilles du sourd, il touche la langue du bègue.

De la même façon, il touche le lépreux, il n’a pas peur d’aller au contact du malheureux, du reclus, du malade, du prisonnier, ou de celui (pensons à Zachée, à la Samaritaine, à Marie-Madeleine) qu’on met de côté parce qu’il est jugé honteux ou impur.

« Effata ! Ouvre-toi ! » dis Jésus au sourd-bègue…

Pour comprendre ce que veut dire cet « ouvre-toi !», nous pouvons nous rappeler que cette parole est parfois reprise au cours de la célébration du baptême, et c’est assez parlant : au baptême, nous sommes plongés dans la mort avec Jésus et nous ressuscitons avec Lui.

Ainsi, « Effata ! »… Ca veut dire dilate ton cœur, ouvre ton être à la vie, étend désormais ta vie à sa pleine dimension. Élargis ta tente. Ressuscite avec moi !

« Ouvre-toi ! »… On peut aussi entendre Jésus nous dire « ouvre-toi à moi ». « Ouvre-moi ! mon ami. Ouvre-toi à la vie que je veux mettre en toi. Laisse-toi aimer. Laisse-moi te rejoindre. »

« Ouvre-toi », c’est la prière que Dieu nous adresse à chacun ; c’est une supplication, c’est un ordre divin. C’est un impératif : « sois vivant » « Vis pleinement ! »

Et c’est en même temps un appel à se donner. « Ouvre-toi ! Permets au monde de goûter ta richesse, ta capacité de parole, ta capacité d’écoute. Ouvre-toi ! offres-toi au monde, en commençant là où le Seigneur t’a planté ».

Pour notre sourd-bègue, en d’autres termes, l’ordre de Jésus est clair : « Désormais, écoute et parle ! ».

Et cette parole est évidemment pour nous aujourd’hui.

Ecoute autour de toi tous ces gens qui souffrent de la solitude, tends l’oreille à leurs appels. Et toi-même, aies la simplicité d’appeler au secours, de demander à d’autres frères d’Eglise de t’écouter, de t’aider à parler, à dire ta souffrance et tes difficultés.

Proclame que le monde nouveau annoncé par Isaïe est arrivé : « l’eau jaillira du désert, le torrent jaillira dans le pays aride ; le boiteux bondira comme un cerf, la bouche du muet criera de joie ».

Oh, il ne s’agit pas d’annoncer un monde devenu magiquement exempt de difficultés, un monde devenu facile et oisif. Il s’agit de la réalité d’un monde renouvelé de l’intérieur.

Lorsqu’on ouvre à Jésus : la vie jaillit, notre vie devient féconde et contribue à l’œuvre de Dieu, œuvre de résurrection.

« Effata, ouvre-toi ! » Quel beau et doux commandement ! Par cet « ouvre-toi », Jésus nous demande d’être les premiers acteurs de ce jaillissement de vie :

A nous d’être attentif, à celui qui est enfermé dans sa vie et dont la vie a besoin d’être renouvelée par l’amour.

Alors, indécent cet évangile ? Oui, indécent d’espérance et de bonheur !

Amen.

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