Je vous ai sans doute déjà parlé d’un dessin humoristique que j’avais vu sur une revue paroissiale du fin fond du Berry : on y voyait deux femmes observer la sortie d’une messe et discuter. L’une disait à l’autre : « pendant la messe, tous frères ; après la messe, même plus cousins ! ». En ce temps de rentrée, on peut souhaiter que nous ayons plaisir à nous retrouver et que cette fraternité perdure une fois passé le seuil de notre paroisse !

Il faut avouer, c’est vrai, que la vie fraternelle est difficile ; et elle l’est d’autant plus qu’elle imprègne tout notre quotidien parce qu’elle se manifeste de multiples façons :

  • La vie fraternelle se voit dans nos familles : et Dieu sait comme ce lien est source de tensions, dans le couple, entre enfants, et même entre enfants et parents ;
  • Nous sommes aussi des frères à notre travail, entre collègues, avec toutes les incompréhensions, les intérêts divergents, les luttes de pouvoir grandes ou petites ;
  • Nous vivons en frères ici, dans notre paroisse, avec les difficultés propres à nos sensibilités, nos fragilités, au fait qu’on y donne de notre temps et donc une part de nous-mêmes ;
  • et même pour certains d’entre nous, la vie fraternelle prend la forme d’une communauté religieuse, avec ses achoppements liés aux différences de caractères, aux petites manies et aux différences sociales ou éducatives (peut-être) qui agacent parfois.

Eh oui ! Notre vie est constituée de relations humaines et pour nombre d’entre elles, nous ne les avons pas complètement choisies. Et cela est source de frictions, de désaccords et de blessures.

C’est inévitable. C’est la réalité. Rêver d’une vie lisse et unie en permanence, sans aucun accroc, sans aucune fatigue, sans aucun différend est un leurre, un écueil. C’est un rêve de fusion.

C’est de cette réalité-là dont parle Jésus dans cet évangile : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va…».

Jésus vient nous guider dans notre vie fraternelle et nous orienter dans la manière de vivre ces petits ou gros conflits entre nous. Mais comme toujours, Jésus ne nous donne pas un mode opératoire figé, qu’il faudrait suivre au pied de la lettre, une procédure à suivre. Eh non ! Ce serait réduire nos relations humaines à des échanges mécaniques et codifiés ; quel appauvrissement ce serait ! Contrairement aux premières apparences, il ne s’agit pas d’une procédure d’escalade en vue d’instruire le procès en excommunication de quelqu’un.

La démarche de correction fraternelle proposée par Jésus est une quête de réconciliation et non un jugement. La longueur, les étapes, les récidives de celui qui vient d’abord seul puis amène d’autres amis avec lui, sont autant de signes de l’attention qui est portée à celui qui se fourvoie.

Jésus nous propose de persévérer dans nos tentatives pour ramener vers la vie une personne qui s’engage dans un chemin dangereux, un chemin de mort. C’est un chemin de mort parce qu’en blessant nos relations, nous nous coupons de la joie que ces relations procurent, nous nous coupons de la vie. Nous entrons dans une forme d’esclavage.

Quand quelqu’un est en danger de mort, dit-on « c’est son problème ! » ou bien appelle-t-on le 17 ? Jésus, lui, demande que nous intervenions : « Va lui faire des reproches seul à seul ». Et même que nous appelions les urgences : « prends-en plus avec toi une ou deux personnes. »

Autrement dit : va aider ton frère qui se met en danger ; crie vers lui : « Reviens ! Reviens à la vie ! Tu comptes pour moi !!

Et si ça ne marche pas, s’il ne t’écoute pas, fais preuve d’ingéniosité : cherche d’autres moyens, retournes-y avec des amis puis avec l’assemblée de l’Eglise : « vois, tu as du prix à nos yeux et nous sommes nombreux à penser cela ! Reviens !». »

Ces mêmes mots, ces mêmes cris, le Seigneur les dit avec nous. On les entend dans Isaïe ! « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! » Nous pouvons facilement comprendre que, lorsque deux ou trois se rassemblent pour demander à quelqu’un de revenir à la vie, Jésus se joint à eux.

En fait, nous sommes liés par l’amour, avec le Christ et entre nous. Et ce lien d’amour nous rend solidaires les uns des autres. Nous participons ensemble à une opération de libération de grande ampleur.

Lorsque nous nous rassemblons pour la messe, ne prions-nous pas « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ? Oui, nous prions pour que le Christ lui-même vienne présenter nos pauvres relations à son Père et que l’Esprit Saint vienne tout vivifier, tout renouveler, tout recréer, sur la terre comme au ciel.

L’espèce de procédure d’escalade s’élargit jusqu’à l’assemblée de l’Eglise. Non pas pour clouer au pilori l’accusé et pour qu’il subisse un peu plus d’humiliation ou une plus forte pression, mais parce que nos paroles et nos actes nous dépassent et ont un retentissement cosmique : ce qu’on délie sur la terre sera délié dans le ciel ». Rien de moins.

Cependant, nous n’avons pas à faire le bonheur des autres malgré eux. Chacun de nous est libre de refuser le chemin du bonheur et de s’engager sur un chemin de mort. Et le Seigneur respecte infiniment cette liberté. Lorsque l’évangile nous dit : « S’il refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain » : l’évangile prendre acte de la liberté de l’autre.

Mais ce n’est pas pour autant couper les ponts : on peut continuer à l’aimer et à espérer.

Lorsqu’on est lié au péché, il faut du temps pour en être délié. Convertir son cœur à l’amour, en profondeur, prend du temps et nécessite de l’aide. Pour quitter son fardeau, pour sortir d’une addiction, il faut être aidé. Pour être libéré de l’esclavage du péché, aussi !

L’Eglise, chaque baptisé, a le pouvoir (et le devoir) de préparer et d’accompagner ces libérations. C’est notre tâche, notre fécondité : puisque nous croyons que l’amour rend libre, c’est à nous d’introduire de l’amour dans nos petits actes afin d’aider chacun à être libre. Préparons chacune de nos journées, chacune de nos rencontres en demandant à l’Esprit-Saint qu’il y prenne place, tout comme Jésus le faisait lui même : pour lui, rien ne demeurait indifférent ou superficiel : il se préoccupait des besoins de chacun, ceux qui ont faim et soif, ceux qui sont étrangers, malades, emprisonnés ; il relevait les plus mal en points, il apportait du réconfort et de la reconnaissance à ceux enfermés (prisonniers ou esclaves !) dans leurs apparences, leur mauvaise réputation.

Voilà ce qu’est la correction fraternelle : ce n’est pas se poser en juge, ce n’est pas faire la morale, c’est se décentrer vers son frère et prendre soin de lui comme Jésus l’aurait fait, parler à l’autre comme Jésus l’aurait fait, trouver les mots, les gestes inspirés par l’amour, comme Jésus l’aurait fait.

Nous ne sommes que des serviteurs de Dieu, nous essayons de préparer la terre pour la belle rencontre avec Dieu ; aidons simplement le Seigneur à toucher terre dans les situations que nous vivons et au cœur de nos rencontres. Et là où Dieu est présent, tout se met à bouger et peut revivre.

Bonne rentrée à tous !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.