Vendredi dernier, je suis tombé sur une émission de télé-réalité que j’ai trouvée très instructive, notamment pour le papa démuni que je suis parfois : « Super Nanny » ! En gros, dans cette émission, des parents en proie à de grandes difficultés dans l’éducation de leurs enfants font appel à une éducatrice chevronnée (Super Nanny) pour les aider (parents et enfants) à remettre un peu d’ordre et de paix dans leur vie de famille et à trouver (ou retrouver) la joie d’être ensemble.

Ce soir-là dans l’émission, le papa avait décidé de préparer une belle soirée pour son épouse, et s’est lancé avec ses enfants de 6/7 ans dans la fabrication du gâteau préféré de sa femme. Chacun a participé à des petites tâches : le papa a cassé les œufs, une petite fille a versé le lait dans le récipient, un autre a mélangé, etc. Chacun a contribué selon ses capacités à ce cadeau pour la maman. Et chacun est apparemment ressorti heureux de ce moment, heureux d’avoir passé du temps ensemble, heureux de s’être vu confié une tâche, heureux d’avoir contribué, à sa mesure, à la joie de tous… Heureux d’avoir pu découvrir en lui une qualité ou un don auquel il ne s’attendait pas. On peut dire que toute cette famille s’est retrouvée dans une joie commune.

Alors moi je dis : merci « Super Nanny » de contribuer à nous éclairer sur la parabole des talents, version 2017 !

Que se passe-t-il en effet dans cette Parabole : un maître, manifestement extrêmement riche, s’apprête à partir, on ne sait ni pourquoi ni pour combien de temps, mais sans doute pour longtemps (certains diront pour 2000 ans minimum !). Il confie ses biens à trois de ses serviteurs et s’en va. Chaque serviteur a reçu une somme différente, « chacun selon ses capacités ». S’ouvre alors un espace de liberté pour ces serviteurs sur la manière d’user de cet argent. Les deux premiers serviteurs vont prendre des risques et les faire fructifier, le troisième va enterrer la somme. Un jour, le maître réapparait et vient demander ce que les uns et les autres ont fait de l’argent qu’il leur a donné. Il se réjouit des choix faits par les deux premiers, mais se désole de l’attitude du troisième.

Il va de soi que les talents dans cet Evangile sont bien autre chose que des pièces d’argent. Les talents représentent effectivement tout ce que Dieu, notre créateur, nous a confié, tout ce dont nous sommes pourvus. En d’autres termes, tout ce qui fait notre vie et notre identité propre.

C’est clair : chacun des 3 serviteurs est libre face à un choix : un trésor lui est confié, que va-t-il en faire ? Va-t-il chercher à le faire fructifier ou bien va-t-il le laisser en friche ? En d’autres termes, que va-t-il faire de sa vie : va-t-il choisir d’être fécond ou d’être stérile ?

Les deux premiers ont choisi la fécondité. Pour chacun d’entre eux sans exception, la fécondité est source de joie : « Entre dans la joie de ton seigneur ! ». Cette joie est identique qu’on ait 5 ou 2 talents, et que cette fécondité soit petite ou grande. C’est une joie partagée, une communion de joie : le maître est heureux de cette fécondité, mais on peut penser que les deux premiers serviteurs le sont aussi : il se sont sentis vivre. Si le maître de la parabole, c’est Dieu notre Père, et si le serviteur, c’est nous, alors comprenons que notre Père du ciel se réjouit et nous accueille lorsque nous faisons le choix d’une vie féconde.

Voyez la femme décrite dans la première lecture : épouse merveilleuse, célébrée pour les fruits de son travail. On célèbre sa fécondité : tout ce qu’elle sait faire, elle le fait POUR quelqu’un : pour son mari qu’elle aime, pour ceux qui récolteront son travail de qualité, pour le pauvre et pour le malheureux. Voilà ce dont le Seigneur se réjouit.

A l’opposé, le maître se désole du choix du 3ème serviteur qui n’a rien fait du trésor qui lui a été confié. En réalité, ce que condamne le maître, c’est le fait de ne pas oser prendre le moindre risque, le fait de s’être enfermé dans la peur, la peur du jugement du maître, la peur de vivre. Commettre une erreur n’aurait posé aucun souci : le 3ème serviteur aurait investi dans quelque chose qui aurait fait faillite, il aurait au moins tenté quelque chose et le maître ne l’aurait pas blâmé. Les mots sont parlants : il a « enterré » son talent. « Enterré ». Lieu où l’on place les morts. Le troisième serviteur se croit vivant alors qu’il est déjà mort ! Nous sommes appelés à déployer notre vie.

Deuxième point : le maître ne donne pas à moitié : l’Evangile ne dit pas que le maître va revenir. Rien n’empêche de comprendre qu’il s’agit d’un don définitif. Et d’un don total. Il se trouve que le maître revient, il demande ce que les trois serviteurs ont fait de cet argent. En fait, le 3ème serviteur imagine que le maître ne lui a pas vraiment donné cet argent et que c’est encore l’argent du maître. Et du coup il n’ose pas l’utiliser, il a peur. Parfois dans la vie, on méprise son talent. Parfois même on ne croit pas que des talents nous ont été réellement donnés, surtout lorsqu’on a été blessé dans sa vie ou lorsque le regard des autres vous enfonce quotidiennement.

Or, nous avons tous reçu un talent et ce talent nous est vraiment donné, il fait partie de nous. J’ai peut-être un quart de demi talent, mais ce quart de demi talent, c’est le mien, je l’ai vraiment. Nous avons chacun comme responsabilité de déterrer le ou les talents reçus, de les accepter, et de les mettre en œuvre.

Le 3ème serviteur, lui, a refusé le don qui lui était fait par le maître. Pourquoi le maître ferait-il d’autres dons à quelqu’un qui n’en veut pas ? Les autres talents – et il en a encore beaucoup d’autres à donner — il les donnera à ceux qui les acceptent.

Nous le voyons, le maître a donné à tous sans exclusive, selon la capacité de chacun des serviteurs : je crois que, tout comme pour la contribution des enfants dans « Super Nanny », chacun dispose d’une capacité à accueillir les dons que Dieu nous fait. Nous avons tous reçu de Dieu une capacité à aimer, à donner, à faire grandir. Tous sans aucune exception. Même le plus petit, même le dernier des derniers, et peut-être même surtout celui qui se croit le plus abandonné ou le plus nul au monde. Et cette capacité d’accueil des dons de Dieu, Dieu la remplira.

Notre tâche est d’aider celui qui croit n’avoir aucune « capacité », à poser un regard juste sur lui-même, à voir qu’il a du prix, qu’il a de la capacité à recevoir avec confiance le trésor de sa vie, et à le faire fructifier.

Cette journée mondiale du pauvre peut nous amener à réfléchir à notre tâche de « révélateur », auprès des personnes dans le besoin, démunies ou blessées dans leur vie, révélateur de leur réelle capacité à recevoir l’amour de Dieu, le don de Dieu. Et de les aider à découvrir qu’elles sont des trésors, elles aussi, comme chacun dans l’humanité, et qu’elles sont pourvues de talents, quel qu’il soit, en faveur de notre monde. Le Maître place aussi sa confiance en elles.

Le pauvre, c’est celui qui est démuni, et il y a de nombreuses formes de pauvreté. Mais le pauvre ne sera jamais démuni de sa dignité de fils de Dieu, il ne sera jamais démuni de sa capacité à être aimé, il ne sera jamais démuni de sa capacité à être une source d’amour, de réconfort et de joie pour les autres.

Révéler cela, c’est notre tâche de frère en humanité et de frère en Christ. Ce n’est donc pas la tâche d’un seul jour dans l’année, mais bien une attention de chaque instant, de chaque rencontre. A chaque rencontre, nous pouvons offrir un regard sans exclusive, sans « mondanité » comme dirait le Pape François, un geste ou une parole qui relève, qui fait grandir, qui permet d’amorcer en l’autre un élan, une dynamique de joie, de croissance, de fécondité.

Au fond, le plus difficile, c’est peut-être de dépasser cette peur de rencontrer nos frères. Face à nos peurs, rappelons-nous la « leçon » de cet Evangile : il est risqué de ne pas risquer. La peur a fait tout perdre au 3ème serviteur. Mais ceux qui, eux, se risquent à la rencontre entendrons pour eux : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton seigneur ».

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