Tous les parents savent combien il est difficile d’éduquer un enfant. C’est toujours un équilibre à trouver entre la nécessité de montrer à son enfant ce qui est bon, ce qui est bien, et celle de lui faire comprendre ce qui est mauvais, ce qui va dans le mauvais sens. Cela peut se manifester par des compliments ou des récompenses, mais aussi parfois par des recadrages et des punitions.

La principale difficulté est d’aider nos enfants à se sentir vraiment aimés autant dans les compliments que dans les remontrances ; et ça, ce n’est jamais un acquis parce que nous sommes tous (parents et enfants) imparfaits, limités et dotés d’une affectivité, d’une psychologie et de facultés (intelligence, mémoire, imagination) qui empêchent les choses d’être purement mécaniques et prévisibles. Autrement dit, il est impossible d’avoir une technique infaillible pour que chacun de nos gestes éducatifs soit perçus à coup sûr par nos enfants comme des gestes d’amour et non pas comme des condamnations.

En fait, c’est toute la difficulté et en même temps toute la richesse de la vie morale : la vie morale ne peut être réduite à des cases à cocher ; elle ne peut se restreindre à fonctionner uniquement sur un mode binaire « ça c’est bien/ça c’est mal », « blanc/noir », « permis/défendu » ; parce que, dans ce cas, cette vie morale rend complètement illisible son sens et sa finalité qui est de permettre à l’amour de se déployer : une morale purement binaire ne s’ouvre plus vers l’amour, ne s’ouvre plus vers un surcroît de vie, et devient stérile. Elle est perçue uniquement comme un jugement, une condamnation, une attaque, une exclusion.

Vous direz que les textes de ce jour semblent justement opposer de manière binaire les bons et les méchants, les pauvres et les riches, ceux qui rient et ceux qui pleurent, les affamés et les repus… Eh bien justement : les textes de ce jour, même s’ils créent ces catégories, montrent que Dieu dépasse ce mode binaire de fonctionnement et ne condamne pas. Et la nouvelle traduction liturgique de la Bible nous en offre un indice : comment Jésus s’exprime-t-il ? Il dit « heureux vous les pauvres…, heureux vous qui avez faim », etc. Mais avez-vous remarqué ce qu’il dit aux riches, aux repus, à ceux qui rient, etc. : la nouvelle traduction ne dit pas « malheur à vous » ; elle dit « quel malheur pour vous… ».

« Quel malheur pour vous ! » Cette manière de s’exprimer, justement, montre qu’il n’y a pas d’un côté les « bénis » et de l’autre les « maudits ». Jésus sort de tout schéma moral sec, mécanique, pour entrer dans un schéma d’amour. Luc nous en avait déjà donné un exemple dans le passage qu’on peut lire juste avant cet évangile : après avoir guéri la main d’un homme handicapé le jour du sabbat, Jésus demandait aux pharisiens : « est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ? de sauver une vie ou de la perdre ? ». Jésus n’attendra aucune réponse et guérira l’homme handicapé.

Lorsque nous sommes du mauvais côté de la morale, Jésus ne nous condamne pas. En réalité, Il nous plaint ! Il s’attriste quand il nous voit faire fausse route. Il n’a qu’un désir : que nous choisissions la bonne voie. Pour paraphraser la première lecture et le psaume, voici ce que Dieu dit en quelque sorte : « Homme méchant, tu te perds toi-même. Homme qui met ta foi dans un mortel tandis que ton cœur se détourne du Seigneur, je te plains ; tu fais fausse route, tu te coupes d’une dimension de ton être, celle qui est faite pour vivre avec moi dans une alliance d’amour. Tu te réduis et ce n’est pas ainsi que tu verras venir le bonheur ». Tout ceci est un constat, non pas un jugement. Ici, on quitte le jugement et on entre dans la miséricorde. La première victime de nos mauvais choix de vie, c’est nous-mêmes.

A côté de ceux qui s’engagent dans la mauvaise voie et que Jésus plaint, il y a les autres : ceux qui se sont engagés dans la bonne voie, la voie de la vie, la voie des vivants. Pour eux, les paroles de Jésus sont pleines d’espérance : « vous serez rassasiés, vous rirez, vous serez consolés, etc. ». Et c’est important d’avoir foi dans ce que nous dit Jésus. La bonne voie, c’est une voie parfois difficile, une voie où l’on pleure, où l’on n’est pas repus, où tout n’est pas toujours rose. Car c’est une voie de combat. Mais si nous acceptons de ne pas fuir ces moments difficiles lorsqu’ils nous arrivent, et au contraire lorsque nous acceptons de les traverser, Dieu nous encourage en nous rappelant que c’est là le bon chemin ; Il certifie que ce n’est pas un chemin de mort, Il s’engage avec nous et nous fortifie en nous rappelant l’amour infini qu’il nous porte.

C’est sûr, ce ne sera pas forcément à chaque fois un bonheur immédiat, charnel, sensible, matériel ; (rappelons-nous que le Royaume de Dieu est en même temps « déjà là » et « pas encore »…) ; Jésus ne nous promet pas d’être comblés dans tous nos besoins de manière immédiate ; il ne nous révèle pas le visage d’un Dieu « père Noël », magicien, qui transformerait notre vie terrestre en un hôtel 5 étoiles super luxe où tous nos désirs seraient immédiatement assouvis. Mais il ne nous leurre pas non plus en attisant notre espérance de bonheur ; l’espérance n’est pas l’opium du peuple : elle n’est pas une drogue anesthésiante qui permettrait de faire passer la pilule amère de notre vie sans que nous nous révoltions ; cette espérance montre vers quoi s’oriente notre vie : la finalité de notre vie est de vivre éternellement dans la béatitude d’un face à face avec notre Dieu. Ici-bas, nous n’en avons encore qu’un avant-goût encore imparfait…

Notre pauvreté, notre petitesse attirent Dieu ; la fragilité de notre humanité le séduit. Sans vouloir faire trop d’anthropomorphisme, je crois que Dieu « fond » lorsqu’il voit que nous sommes prêts à nous engager dans la voie d’une alliance avec Lui, alors même que cela peut aussi nous coûter en termes de « confort ». Dieu s’émerveille de voir que nous avons confiance en Sa Parole. Il « craque pour nous » lorsqu’il constate que nous avons compris que le sens de notre vie se trouve dans l’amour. Il se réjouit quand nous recherchons à être féconds dans notre vie. Parce que c’est dans de telles situations qu’Il peut nous rejoindre.

Si nous sommes repus, si nous ne manquons de rien, Dieu n’a pas d’autre choix que de se tenir à la porte et de pleurer doucement en voyant que nous nous sommes, nous-mêmes, coupés du bonheur éternel qu’il nous offre.

Pourquoi Jésus a-t-il été envoyé auprès de nous ? Pour que nous puissions retrouver Dieu, découvrir son vrai visage, et ainsi choisir avec confiance de nous engager dans la voie exigeante du bonheur qui mène à Lui. Un théologien allemand, Urs von Balthazar, a d’ailleurs imaginé ce qu’a pu être la conversation entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, alors qu’ils se demandaient de quelle manière ils pourraient sortir l’humanité de l’impasse du péché dans laquelle elle se fourvoie. Dans cette conversation, il imagine le Fils en train de supplier le Père : « S’il te plait Père, envoie-moi ».

Ces retrouvailles entre l’homme et son Dieu, Dieu les attends depuis toujours, depuis qu’Adam et Eve ont laissé s’installer dans le cœur de l’humanité le doute sur les bonnes intentions que Dieu avait pour elle. Ces retrouvailles, il n’appartient qu’à nous de les provoquer.

Heureux ? malheureux ? dans les deux cas Dieu nous aime tout autant.

Serons-nous heureux ou malheureux ? C’est à nous de décider. La réponse, nous la donnerons par nos choix de vie.

Alors que décidons-nous ?

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