Je lisais récemment un petit livre intitulé « Paternité » qui m’avait été offert lorsque j’ai quitté NDP pour rejoindre St Etienne. Cet ouvrage est illustré de gravures d’un certain François-Xavier de Boissoudy et présente une belle méditation de Fabrice Hadjdj sur la paternité et sur les relations père-fils.
Permettez-moi de vous en citer un tout petit passage :
[Dans la relation entre un père et son fils], « il n’y a pas de vis-à-vis ni de côte-à-côte comme dans le couple.
A l’opposé d’être en vis-à-vis, le père veut que son fils se détourne de lui, parce que sa mission [de père] est de tourner [son fils] vers le monde et l’avenir […].
A l’opposé d’être côte-à-côte, le père est par rapport au fils soit en avant, quand il le tire, soit en arrière, quand il le pousse ; et si par la taille il se tient au-dessus, c’est pour se mettre en dessous, en le portant sur ses épaules. […]
Ce retrait qui pousse en avant est bien de la paternité. […]. Le père donne sans retour, mais aussi sans retour sur soi. [Le père] est à l’origine d’une motion qui envoie à l’extérieur ».
Ce petit passage sur la paternité insiste donc sur le fait que la paternité oriente vers le don de soi, que le père se met humblement en retrait pour mieux laisser la voie libre vers l’extérieur.
Je trouve que cet extrait offre un éclairage intéressant pour aborder l’évangile de ce jour. Dans ce passage de l’évangile de Saint Luc, Jésus et son Père interviennent tous les deux : Dieu le Père s’adresse à son fils. Ce n’est d’ailleurs pas si fréquent : souvent Jésus parle de son Père, révèle le visage de son Père ; mais ce n’est pas si souvent qu’on entend Dieu le Père s’adresser à son Fils.
Que dit ce père à son fils ? « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie ». Cette phrase dans le contexte de cet Evangile est d’une force incroyable car elle révèle plein de choses : elle nous montre QUI est le Fils ; elle nous montre comment aime le Père ; elle révèle le lien qu’entretiennent le Fils et son Père ; elle nous en dit un peu plus sur la manière dont Dieu le Père est père, et sur la manière dont Jésus est fils.
« Toi tu es mon bien-aimé, en toi je trouve ma joie »… Cette Parole est évidemment avant tout destinée à Jésus. Dieu le Père exprime l’amour qu’il porte à son fils Jésus. Mais en fait cette même parole s’adresse aussi à tous ceux qui suivront Jésus, à commencer par ceux et celles qui recevront le baptême à sa suite.
Il nous est pourtant parfois difficile de croire, d’être vraiment convaincu que cette parole nous est aussi adressée à nous personnellement. On nous rappelle souvent que « Dieu est amour », « Dieu t’aime », etc. mais parfois, ces mots n’accrochent pas ou n’accrochent plus ; ils glissent sur nous comme un liquide le ferait sur une porte blindée étanche. Parfois, nous sommes trop blessés pour recevoir une parole d’une telle force et croire qu’elle est possible et vraie pour nous. C’est parfois presque trop brutal ou trop cru. On préfèrerait presque que cette parole reste théorique ; une belle parole ; un rêve quoi !
En fait, pour croire que cette parole est vraie, nous avons besoin d’un exemple vécu ; nous avons besoin de voir que quelqu’un expérimente réellement cette parole dans sa vie, et, par-dessus le marché, de voir qu’une telle expérience forte semble parfaitement accessible pour nous.
C’est tout bête ! En réalité, cet exemple, cette expérience vécue, nous l’avons devant nous : c’est celle de Jésus !
Alors de ce fait, une question qui peut nous aider à entrer dans cet amour que Dieu exprime, c’est un peu celle-là : qu’est-ce que Dieu le Père aime en Jésus ? Qu’est-ce qui fait qu’il aime Jésus et que Jésus lui procure de la joie ? Déjà, Jésus a-t-il fait quelque chose pour mériter d’être aimé ?
Moi ce que je vois, c’est que Dieu n’exprime aucune condition d’accès à son amour : il aime tout, sans rien jeter ; il ne dit pas « je t’aime si… ». Il aime tout entier. Jésus, il l’aime pour lui-même. En d’autres termes, Dieu dit : « c’est parce qu’il EST mon fils que je trouve en lui ma joie ». Ce n’est pas parce qu’il a agi de telle ou telle manière que Jésus a obtenu d’être aimé de son Père. Il n’a pas acheté son amour. Il n’a pas « mérité » cet amour.
Cet amour que lui donne son Père, Jésus le reçoit pleinement, il l’intègre en lui, mais le plus important est qu’il ne le garde pas pour lui : il relaie cet amour autour de lui. Il met cet amour à notre portée. Ses gestes d’homme, ses paroles d’homme, permettent à cet amour de nous rejoindre là où sommes. Nous devenons capables d’expérimenter l’intensité et la proximité de cet amour.
C’est en regardant tout ce que fait Jésus, tout ce que les évangiles nous présentent de lui, que nous pouvons comprendre QUI est ce Fils bien aimé qui suscite tant d’amour et de joie pour Dieu le père. Jésus, c’est un quelqu’un qui fait comme son père : quelqu’un qui passe sa vie à se donner ! Les exemples fourmillent !
- Jésus ? c’est quelqu’un qui demande le baptême alors qu’il n’en a pas besoin. C’est pour nous qu’il s’est fait baptiser, pour nous montrer le chemin.
- Jésus ? c’est quelqu’un qui va jusqu’à mourir pour révéler le vrai visage de l’amour. C’est celui qui soutient l’amour et la vérité jusqu’au bout, même s’il doit être tué pour cela ; et à qui veut-il révéler ce vrai visage de l’amour ? A nous !
- Jésus ? c’est le fils de Dieu qui ne reste pas lointain, « tranquille » à nous regarder comme un spectacle divertissant à la télé, mais c’est un Dieu qui nous rejoint, qui descend vers nous. Il descend d’ailleurs toujours plus bas, comme pour rejoindre le plus éloigné, toujours plus bas pour être sûr que personne ne sera oublié. Même le lieu de son baptême, Béthanie, est significatif : Béthanie, c’est un des lieux les plus bas du monde, situé sous le niveau de la mer. C’était aussi un lieu sale puisque plusieurs égouts se déversaient dans le Jourdain à cet endroit-là. Pourtant c’est bien dans ce lieu que Jésus plonge volontairement. Pourquoi ? pour nous rejoindre au plus près.
- Jésus ? c’est aussi celui qui nous fera le cadeau de l’Esprit-Saint, cet esprit qui manifeste son union intime à son Père. Cet « intime des intimes » deviendra notre intime des intimes. Il ne le gardera pas jalousement pour lui. Il nous l’offre.
- Jésus ? c’est enfin quelqu’un qui prie, qui cherche l’intimité toute simple d’une conversation avec son père, un homme qui se tient dans la proximité amoureuse, un fils qui appelle Dieu le Père « Abba », c’est-à-dire « papa » ! Et qui nous montre le chemin pour que nous soyons nous aussi des fils de ce même père !
Tout cela n’est-il pas le signe le plus évident d’un amour qui se donne gratuitement ? Tout cela est fait POUR NOUS. C’est un don, un cadeau.
Voilà ce que nous révèle cette parole de Père à l’occasion du baptême du Christ. Dieu le Père n’est pas captateur, il est tout offert à son Fils, il admire son Fils en ce qu’il s’ouvre à son tour et se donne au monde par amour. C’est dans le don et dans la générosité d’amour de son Fils que le Père trouve sa joie. En quelque sorte, Dieu dit : « Je trouve ma joie en toi car tu es un fils qui se donne, tu es un fils qui relaie mon amour vers les autres. Va, bon et fidèle fils, entre dans la joie de ton Père ! »
TOUT ce que nous révèle cet évangile se fait aussi à notre propre baptême : le Père nous adresse la même parole, pose le même regard sur nous, que nous soyons pur ou souillé, que nous soyons irréprochable ou que nous soyons le plus grand pécheur du monde.
Maintenant, c’est notre tour : nous sommes les baptisés de notre époque ; à nous de nous configurer autant que possible à Jésus ; à nous, comme lui, de recevoir pour nous cette parole d’amour ; à nous de rechercher cette intimité avec notre Père du ciel, cette relation confiante et libératrice ; à nous de prier ; à nous de laisser un peu de place à cette colombe, désormais intérieure, qu’est l’Esprit-Saint ; à nous d’aimer sans mettre de conditions ; à nous d’annoncer à ceux qui sont dans les ténèbres et dans la tristesse qu’eux aussi sont des « enfants bien aimés du Père » et que Dieu trouve sa joie en eux.
C’est notre tâche de fils et de fille de Dieu désormais.