Ces jours derniers, je suis tombé par hasard sur une citation du philosophe Hegel : « La lecture du journal au petit matin est une sorte de prière matinale réaliste. » (« Aphorismes » 1803-1806). La lecture du journal est une sorte de prière matinale réaliste… Et comme il est conseillé de préparer une prédication avec dans une main le journal, et de l’autre la Bible, eh bien j’ai prié avec l’actualité.

Triste prière, en fait : le journal, au cours de la semaine dernière, était plein de sang, du sang des victimes auquel les terroristes, dans un ultime acte de défi, ont voulu mêler leur propre sang. Le journal d’aujourd’hui, il est plein de larmes, de points d’interrogations, de cris dont le contenu va de l’appel à l’aide à l’appel à la vengeance.

Entre ces attentats, les crash aériens, les prises d’otage au Mali, la guerre au proche Orient ou en Ukraine, les tricheries industrielles de Volkswagen, les « unes » de nos journaux sont porteuses de souffrance.

Comment ne pas crier : Où es-tu mon Dieu ? Que fais-tu ? Pourquoi restes-tu silencieux ? N’es-tu pas « Dieu le Père tout puissant » comme nous le proclamons avec foi chaque dimanche et comme nous le referons tout à l’heure ? N’es-tu pas roi, à qui il fut donné « domination, gloire et royauté » ? Roi « vêtu de magnificence », de « force », le « Souverain de l’Univers »  comme nous venons de l’entendre ?

J’ai envie de chanter « Notre Père qui êtes si vieux, as-tu vraiment fait de ton mieux », comme le faisait un groupe de rock dans une chanson à propos d’une Cendrillon désenchantée…

Franchement, Seigneur, si tu es roi, un royaume comme ça, je n’en veux pas ! PERSONNE N’EN VEUT !!

On pourrait s’arrêter là. On pourrait rester bloqué face à ce néant, face à cette béance, face à ces évènements récurrents, qui reviennent toujours en surnombre et qui alimentent la désespérance du monde.

C’est ce qu’on appelle : la mort.

Le mal, je ne sais pas pourquoi il est là.

Je n’ai pas de réponse à tous les « pourquoi » de mon existence : pourquoi la souffrance, pourquoi les maladies et le handicap, pourquoi les catastrophes naturelles, pourquoi les guerres et les attentats, pourquoi la mort. Assurément, si Dieu est présent dans ce monde, son royaume ne gomme pas les aspects négatifs de notre vie.

En fait, je crois qu’il est important de regarder notre désir, celui que nous portons tout au fond de notre humanité, celui qui est enfoui derrière toutes ces strates plus ou moins épaisses de nos pesanteurs humaines. Un royaume de mort, comme celui qui se présente devant nos yeux dans le journal, nous n’en voulons pas ; nous avons le désir d’autre chose. Et c’est cela qu’il faut scruter : cette « autre chose ».

Parce que cet « autre chose » EXISTE. Parce qu’un royaume d’un autre type existe !

C’est justement ce que l’Evangile nous annonce aujourd’hui : Jésus et Pilate parlent de « royauté » ; et Jésus, en disant « ma royauté n’est pas d’ici » annonce que, d’une certaine manière il est roi, mais pas de la manière dont Pilate l’envisage : le royaume de Jésus est là où l’on rend témoignage à la vérité.

Qu’est-ce que la vérité ? (C’est d’ailleurs ce que demande Pilate immédiatement après cet évangile). Pour les juifs, la vérité n’est pas un concept mais c’est une personne : c’est Dieu fidèle, stable, inébranlable. Voici donc ce que nous dit l’Evangile : quiconque appartient à Dieu écoute la voix de Jésus. Ainsi, lorsque nous écoutons la voix de Jésus, nous prenons appui sur la solidité de Dieu au milieu des instabilités de ce monde.

Jésus est le moyen le plus direct, le guide le plus sûr, pour qu’advienne le royaume dont il est roi, dont il est le signe. Agir comme Jésus, c’est donc agir comme Dieu agit, c’est voir le monde comme Dieu le voit, c’est se donner au monde comme Dieu s’y donne. Si l’on veut connaître quel roi est Dieu et quel est son royaume, il faut écouter ce que dit Jésus, regarder ce que fait Jésus.

Jésus regarde chaque homme tel qu’il est. Il n’y a aucun rêve de puissance, de perfection de force. Aucune ambition intéressée. Jésus se tient au cœur de notre réalité, qui est faiblesse, vulnérabilité.

Rendre témoignage à la vérité, c’est, comme Jésus, exercer la justice, aimer ceux dont nous avons la charge ;

c’est prêter attention à ceux parmi nous qui ont le plus besoin qu’on prenne soin d’eux : les petits, les isolés, les rejetés ; ceux que l’on juge, qu’on catalogue ; ceux qui se sentent humiliés, ceux qui sont écrasés par les fardeaux de la vie, par tout ce qui fait qu’on a de quoi être désespéré par cette vie bien lourde.

Le royaume dont le Christ est roi, c’est le lieu où l’autre a du prix pour ce qu’il est, où l’on prend soin de l’autre, où l’on existe aux yeux d’un autre ; où chacun est reconnu ; où la vie de chacun ne laisse pas indifférent.

Nous voulons que ce monde change ? La clef nous est donnée !

Prenons exemple sur Jésus pour agir, chacun à notre place, chacun à notre mesure, et laisser advenir le monde auquel nous aspirons : il n’y a rien de spectaculaire à rechercher ; certains agissent en politique, d’autres soignent les blessés ; pour d’autres, il n’y aura rien d’autre à faire que d’écouter, de pleurer avec ceux qui pleurent, de demander à l’Esprit Saint de se rendre présent, de passer pour faire son œuvre d’amour, pour apporter la lumière de sa consolation pour que la nuit soit moins noire.

Le besoin est grand de rejoindre ce monde dans sa désespérance, de l’y accompagner et de l’aider à trouver la porte du royaume, celle qui fait vivre. La vraie porte en laquelle nous avons foi : Jésus-Christ.

Certains veulent bâtir un royaume de destruction. Nous voulons construire un royaume de vérité. Celui que Jésus Christ a annoncé il y a 2000 ans, celui qui se construit lorsqu’on écoute sa voix.

Certains veulent un monde fondé sur la force. Nous croyons en un roi sans armée militaire.

Mais un roi qui n’est pas sans armes : le Seigneur a nos mains pour agir avec Lui, nos cœurs pour aimer avec Lui.

Que le Seigneur soit le roi de mon cœur, lui qui alimente les plus petites lueurs d’espérance au centre même de ce monde. Qu’Il règne dans mon être pour que le Royaume de paix qu’il promet devienne le monde dans lequel je vis.

Amen.

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