L’heure est grave. On sent qu’on approche de Pâques. Jésus sait qu’il va vivre une fin tragique. Pour le moment, la réputation de Jésus est à son apogée et nombreux sont ceux qui veulent rencontrer ce rabbi charismatique et espèrent trouver les raisons de croire en lui.

Tel est le cas de ces grecs qui contactent Philippe. Ils sont « attirés » par Jésus. Peut-être Jésus est-il ce messie tant attendu qui permettra d’établir l’alliance de paix de Dieu avec son peuple, cette alliance évoquée dans la première lecture : une alliance tellement intérieure qu’elle ne pourra plus jamais être rompue, une alliance inscrite « sur le cœur » ; une alliance si naturelle et si intense qu’elle en deviendrait quasi instinctive et qu’il ne serait plus nécessaire de l’expliquer ni de l’enseigner.

Pour l’heure, cette alliance-là est à venir et Jésus annonce une nouvelle fois qu’elle ne prendra pas la forme escomptée : oui Jésus confirme qu’il est bien celui que les hommes attendent : « et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Un peu comme un phare attire les bateaux. Mais il annonce que cette attirance ne touchera toute l’humanité qu’une fois qu’il aura été « glorifié » : « l’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié ».

J’imagine que, comme moi, lorsque vous entendez le mot « gloire » ou « glorifié », vous comprenez « prestige », « mise à l’honneur », et vous imaginez des sonneries de trompettes annonçant l’arrivée d’un grand personnage. En réalité, la « gloire de Dieu » signifie la « présence de Dieu » dans toute sa réalité, dans toute son épaisseur, avec tout son poids. Autrement dit, Jésus annonce que l’heure est venue pour Dieu de révéler au monde son vrai visage. Et c’est ce vrai visage qui, naturellement, instinctivement, attirera à lui tous les hommes parce que c’est là que l’alliance rêvée pourra se nouer.

On voit bien que Jésus aura, jusqu’au bout, du lever un malentendu sur le visage de Dieu : les juifs attendaient une libération immédiate et matérielle : ils attendaient un chef de guerre qui les libérerait des romains ; et la tâche n’est d’ailleurs pas encore terminée : nous-même fantasmons sur la présence de Dieu, nous l’imaginons facilement puissant de force, invincible, prestigieux et nous pourrions apprécier qu’il agisse directement dans le concret de nos vies. Que découvre-t-on : un Messie qui se fait torturer, flageller, insulter, cracher dessus, humilier et clouer sur une planche jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Un messie qui sera élevé dans la gloire… sur le plus infâmant des poteaux de torture !

Dieu révèle la grandeur, la beauté, la profondeur de son Amour, la dimension infinie et cosmique de sa personne en s’abaissant…

Dieu s’élève en se penchant
… vers les petits enfants,
… vers la femme adultère jetée à terre
… sur les lits des paralytiques et des malades
… sur les pieds de ses disciples pour les laver.

La gloire de Dieu se trouve à sa plus haute place dans le petit. Aider le petit, prendre soin de celui qui est dans le besoin (par exemple celui que le CCFD va évoquer toute à l’heure), se faire proche de celui qui n’a que vous pour se raccrocher à la vie, c’est permettre à Dieu d’atteindre ce frère, c’est révéler sa présence, c’est Le glorifier.

Jésus est allé jusqu’à l’extrême pour révéler ce visage de Dieu dans toute sa vérité, avec tout son poids, et montrer ainsi le caractère inouï, infini et universel de cet amour qu’il me porte, à moi, homme limité, fragile, mortel.

On peut même imaginer, comme l’a fait Hans Urs von Balthasar, une conversation qu’aurait pu tenir les différentes personnes de la Trinité face à ce peuple qui n’en finit pas de se blesser dans le péché, qui se heurte contre le mal et a tant besoin d’être sauvé ; que faire pour rejoindre l’homme ? « Oh ! S’il te plaît Père, envoie moi ! » : le Fils implore le Père de l’envoyer révéler aux hommes qui est vraiment Dieu et quelle est la teneur de l’alliance d’amour qu’il souhaite nouer avec eux. C’est ce désir ardent du Fils que Jésus évoque en disant : « Que vais-je dire ? ‘’Père, sauve-moi de cette heure’’ ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ».

Ce don du Fils est un acte de vie : il accepte de passer par un chemin inconnu (et en l’espèce ce chemin est même un chemin de douleur jusqu’à la mort), afin que germe une relation d’amour avec lui, une relation fructueuse, féconde.

« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit ».

Oui le grain doit mourir dans nos propres vies afin de germer et donner du fruit. Il ne s’agit pas d’éteindre notre élan de vie ni de nous réduire ; le grain qui meurt consent à perdre son enveloppe justement pour permettre à la vie d’être préservée et de croître : il s’agit de renoncer à l’instinct de conservation, d’accueillir la nouveauté dans notre vie, de se laisser remettre en question, de sortir de l’immobilisme, de consentir à être transformé… bref, de vivre une Pâque personnelle de chaque instant.

Jésus nous dit aussi : « là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ». Philippe et André, en se mettant au service de leurs frères grecs ont pu permettre une rencontre avec Jésus et contribuer à nouer cette alliance de vie. De la même manière, chacun de nous est vecteur de rencontre et porteur de cette alliance en germe. Notre mission est d’être serviteur de Dieu en servant nos frères ; c’est ainsi qu’ils pourront eux aussi vivre dans cette alliance d’amour. C’est le rôle de notre évêque, de notre curé, du diacre que je suis, c’est votre rôle de baptisés. C’est aussi le rôle des responsables politiques qui seront élus aujourd’hui. Rappelons-nous que même le pape a pour titre de « serviteur des serviteurs de Dieu ».

« Oh ! S’il te plaît Père, envoie moi révéler ton visage ! », « Glorifie ton nom ! »

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