Nous avons entendu en première lecture un passage du livre de l’Exode : celui des fameux Dix Commandements. Je ne sais pas si c’est votre cas, mais chez moi l’imaginaire est venu s’immiscer fortement à l’écoute de cet « épisode » : Moïse sous les traits de Charlton Heston, descendant du mont Sinaï, portant avec crainte et émotion les deux grosses tablettes de pierre sur lesquelles Dieu, apparu sous forme d’une tornade, a lui-même gravé en lettres de feu ces dix préceptes immuables, en les énonçant d’une voix grave et sentencieuse.

De fait, lorsqu’on parle des Dix Commandements, on ne peut s’empêcher de leur donner un poids et une forte solennité (il est d’ailleurs notable qu’on parle de commandements alors que « décalogue » signifie seulement « dix paroles »). Il faut dire que ces dix commandements ont l’avantage d’être faciles à retenir et à mettre en œuvre : ils sont rédigés sous forme d’interdits ; et ils ont un caractère suffisamment universel pour être intemporels. On peut par exemple faire une analyse de l’actualité en s’y référant : de la loi Macron sur le travail du dimanche qui est confrontée au précepte du repos le 7ème jour, jusqu’aux publicités Gleeden qui enfreignent à la fois le « tu ne commettras pas d’adultère » et le « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ».

Malheureusement, notre connaissance de Dieu, l’image que nous avons de lui, s’est souvent arrêtée à ce visage d’un Dieu intransigeant qui jette des anathèmes, dresse des interdits, provoque des coups de tonnerre, suscite la crainte et punit sur plusieurs générations. Même Jésus présente un visage dur dans l’évangile de ce jour…

André Gide écrivait dans Les nourritures terrestres :

 « Commandements de Dieu, vous avez endolori mon âme.
Commandements de Dieu serez-vous dix ou vingt ?
Jusqu’où rétrécirez-vous vos limites ?
Enseignerez-vous qu’il y a toujours plus de choses défendues ?
De nouveaux châtiments promis à la soif de tout ce que j’aurai trouvé beau sur la terre ?
Commandements de Dieu, vous avez rendu malade mon âme. »

Quel contre-sens si l’on s’arrêtait à ce Dieu là !

Ecoutons bien ce que nous dit le Seigneur :
« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage ».
« Honore ton père et ta mère afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. ».

Dans le psaume 18 : « La loi du Seigneur est parfaite qui redonne vie »
« Les préceptes du Seigneur sont droits : ils réjouissent le cœur »
« Le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard »

Tous ces commandements sont des demandes de Dieu pour que l’homme vive et soit heureux. Plus que des questions de bien ou de mal, il s’agit avant toute chose de vie ou de mort, de liberté ou d’esclavage.

Les dix commandements ne sont pas des conditions à l’amour au sens de « si tu commets un vol, un meurtre ou un adultère, je ne t’aimerai plus ». Ce sont de bonnes nouvelles pour nous, des paroles bienveillantes pour que nous soyons vraiment libres, désenchaînés de tout ce qui nous empêche d’être vraiment les fils et filles de Dieu que nous sommes appelés à être, pour sortir définitivement de notre terre d’Egypte et aller vers notre terre à nous. Ces paroles sont des exigences de liberté au même titre que lorsque Dieu dit dans le livre du Deutéronome : « choisis la vie, pas la mort ».

L’Evangile de ce jour est un miroir de ce passage des Dix commandements :

  • Jésus chasse les marchands du temple : on peut y voir le signe de ce que Jésus chasse une idole : l’argent. Il libère le Temple de l’esclavage du péché, tout comme Dieu a libéré son peuple de l’esclavage égyptien.
  • Jésus déclare « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai »: Jésus s’identifie à un nouveau Moïse.
    L’évangéliste Jean précise : « Lui parlait du sanctuaire de son corps ». Cette déclaration est un acte fondateur : le nouveau temple, c’est Jésus lui-même.

Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la force de cette déclaration pour un juif : les fameuses tables de la Loi de Moïse, qui constituent un fondement de la religion juive, étaient justement placées dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Le Temple avait pour vocation de conserver ces tables de la Loi.

Jésus annonce qu’il va remplacer lui-même les tables de la Loi. Tout comme les tables de la loi placées au Tabernacle du peuple hébreu manifestaient la présence permanente de Dieu parmi son peuple, Jésus, l’Emmanuel Dieu-avec-nous, annonce que Dieu sera désormais présent en permanence par lui et en lui.

Et par cette parole, Jésus renverse l’image que l’homme pourra avoir de Dieu ; l’humanité bénéficiera désormais d’une vision complètement dévoilée de « qui est Dieu » ; nous pouvons mettre un visage sur le nom de Dieu et l’aimer en liberté, en connaissance de cause.

Bien plus : le visage de Dieu nous est confié car, par l’humanité de Jésus nous sommes, nous l’Eglise, les visages de Dieu. Nos visages sont les images mêmes de Dieu.

Dès lors, dans l’incarnation des dix commandements dans notre vie, quel visage de Dieu offrons-nous au monde ? Est-ce cette image partielle d’un Dieu dur, intransigeant, juge qui nous condamnera si nous ne respectons pas sa loi ? Un Dieu autoritaire et rancunier qui « punit la faute de ses fils jusqu’à la 3ème et la 4ème génération » ? Un peu comme bon nombre d’entre nous ont pu être souvent éduqués : dans la peur de la faute et dans le besoin de respecter la loi sous peine d’être puni, emprisonné, condamné ?

Ou bien est-ce l’image complète qu’offre Jésus incarné en nous ?

Et si, plutôt que d’insister sur « Honore ton père et ta mère », nous décidions d’insister sur la seconde partie de la phrase : « afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » ?

Nous avons à découvrir notre terre intérieure, cette terre que nous donne le Seigneur, cette terre nouvelle libérée de tout esclavage, cette terre intérieure appelée à être fécondée par une alliance d’amour avec Dieu, une alliance à laquelle Dieu promet d’être fidèle pendant au moins 1000 générations, parce qu’elle est fondée sur son propre Fils qui en est le garant, l’acteur et l’auteur.

Une telle bonne nouvelle réjouit le cœur de l’homme plus qu’un anathème, non ?

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