Où est passé le Dieu doux et miséricordieux ? Qu’est devenu le Jésus miséricordieux envers la femme adultère, accueillant avec Zachée, aimant à l’égard du jeune homme riche ? Le petit Jésus de notre enfance, celui vers lequel nous allons (ou vers lequel nous menons nos enfants) en nous disant que « ce sont de bonnes valeurs, ça peut pas faire de mal » est devenu méconnaissable !

Jésus se met en colère ! Jésus fait preuve de violence ! Jésus se montre radical !

Nous sommes effectivement loin d’un Dieu guimauve et… nous devons en être heureux. En réalité, nous pouvons même aborder cet Evangile avec un cœur débordant de gratitude. Pourquoi ? Parce que Jésus, lorsqu’il sort de l’image du « prédicateur d’un monde tout rose » dans laquelle nous l’enfermons parfois, nous montre qu’il prend notre vie d’hommes au sérieux.

Notre vie n’est pas un film de cinéma. Notre vie n’est pas une succession de futilités. Elle comporte des moments de douleur, des peines, des ruptures, des deuils ; elle comporte aussi des moments de joie intense, de paix profonde, de communion. Notre existence est marquée par de tels moments qui font de nous des vivants.

Les passages importants vers un surcroît de vie sont toujours douloureux. Pour que nous puissions naître, nous avons du passer par l’étroitesse du ventre de notre mère et c’est douloureux.

De même, pour ressusciter, Jésus a été contraint de passer par la violence de la mise en croix et par la mort.

Jésus prend au sérieux notre vie. Il ne nous fait pas miroiter une vie rêvée, un univers parallèle, hors sol. Il n’est pas venu à moitié et son attitude à l’égard des marchands annonce un passage radical qui n’accepte aucune demi-mesure.  Cette radicalité, cet arrachement pour passer à quelque chose de nouveau, c’est quelque chose d’humainement réjouissant.

La rupture que Jésus annonce est dans cette phrase : « Détruisez ce temple (la nouvelle traduction dira : « ce sanctuaire ») et en trois jours je le relèverai. » C’est un passage vers un nouveau Temple : Jésus lui-même, son Corps même, à travers lequel l’amour de Dieu se fait tout proche.

Non pas que Jésus refuse qu’il y ait des églises (il n’a pas dit qu’il fallait détruire le Temple de Jérusalem), mais Jésus nous ouvre à la vraie dimension de Dieu, celle dont l’Eglise universelle est le signe et que nous fêtons aujourd’hui en célébrant la construction de la cathédrale de Rome (Saint Jean de Latran). La vraie dimension de Dieu, ce n’est pas celle d’un Dieu matériellement cloisonné dans le « Saint des Saints », la pièce la plus fermée du Temple de Jérusalem et dans laquelle seul le Grand Prêtre peut entrer (et encore, seulement à certaines fêtes juives de l’année), une pièce bien à part. Le vrai visage de YHWH-Dieu est désormais celui d’un Dieu qui descend jusqu’à l’homme dans la réalité concrète de son humanité, jusque dans ses recoins les moins beaux, les moins purs, jusque dans sa fange : nos petits calculs, notre matérialisme, nos égoïsmes, nos jugements, nos violences, nos haines, nos rancunes, nos refus de pardons, nos auto-dévalorisations… Dieu ne reste pas à la périphérie de nos péchés, protégé dans un lieu aseptisé, préservé de notre malheur.

Au contraire, il se fait proche. Et cette proximité est source de vie, redonne vie. Tout comme le torrent dont parle la 1ère lecture : « En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. » (Ez 47, 9)

Jésus vient nous rejoindre au cœur de notre vie, dans toutes ses composantes, pour l’alimenter de ce torrent d’eau vive.

Cette proximité vivifiante du Christ, nous avons le pouvoir de la manifester à notre tour : nous sommes devenus par notre baptême les membres indissociables du Corps du Christ ; nous sommes devenus son corps, et Dieu a fait le choix de n’avoir pas d’autre corps que… nous.

Lorsque nous nous faisons proches les uns des autres, nous collaborons avec l’Esprit-Saint et nous permettons au Christ de nous remettre en vie les uns et les autres. Au travers de nos propres gestes de sollicitude les uns envers les autres, et notamment envers ceux qui sont dans la peine ou la difficulté, nous permettons au torrent de vie divin de s’écouler et d’irriguer le monde entier.

Ce torrent de résurrection n’est pas forcément spectaculaire : certains d’entre vous se souviennent peut-être de Marianne, jeune fille qui a été gravement touchée par un accident; peu de temps avant sa mort, il y a deux ans, elle avait participé à un concours de photos sur internet avec son infirmière. Ce concours était pour elle une façon de s’ouvrir à nouveau, de reprendre pied dans la vie. Les centaines de votes qu’elle a reçus ont été autant de signes d’affection et d’encouragements qui allègent le cœur et donnent de l’élan. Un petit signe comme celui-ci redonne vie, parce qu’il est motivé par l’amitié. Dieu agit clairement au travers de nos petits gestes.

S’entourer d’affection en toute simplicité, c’est manifester que nous sommes ensemble devenus un même corps, le corps vivant du Christ Jésus ; c’est être de vrais chrétiens ; c’est la plus belle manière de rendre gloire à Dieu.

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